Notes de lecture

Les monnaies du lien

Jean-Michel Servet. Presses universitaires de Lyon, 2012, 455 p.

L’ouvrage est organisé autour de deux textes rédigés à plus de trente ans d’intervalle. Le premier, datant de 1981 et occupant les deux tiers du volume, propose une dissertation sur l’histoire des paléomonnaies et des fonctions monétaires. L’auteur définit et illustre les paléomonnaies comme des moyens d’alliance, de compensation ou de réparation et des instruments de prestige. « Elles servent de moyen d’échange que l’on dit ‘‘social’’ en pensant pouvoir, par ce qualitatif, les opposer aux instruments du marché et des contreparties de leurs échanges » (p. 322). Une illustration originale de cette notion correspond aux usages des fleurs dans les rencontres ou les cérémonies au sein des sociétés occidentales.

Du souffle pour une société en panne : les associations en France

Jean Bastide. Juris Associations, hors série, 2011, 176 pages.

Jean Bastide, président actuel de France Bénévolat après plus de quarante ans d’engagement associatif, signe avec Du souffle pour une société en panne un ouvrage essentiel pour les historiens qui écrivent ou écriront l’histoire encore balbutiante des associations françaises au XXe siècle. Cet ouvrage donne de la chair aux froides statistiques qui montrent la constante progression du mouvement associatif, contrastant avec l’affaiblissement progressif des autres mouvements sociaux, qu’ils soient politiques, syndicaux ou religieux. Il fait revivre les grandes figures qui l’ont animé et que Jean Bastide a côtoyées : François Bloch-Lainé, Michel Rocard, Henri Théry, Frédéric Pascal, entre autres. L’auteur, en effet, a été partie prenante de toutes les expériences de regroupement du milieu associatif qui ont marqué la fin du dernier siècle et le début de celui-ci : Fonda, Comité de la Charte, Union nationale interfédérale des oeuvres et organismes privés sanitaires et sociaux (Uniopss), Conseil national de la vie associative, Conférence permanente des coordinations associatives, et il a représenté les associations au Conseil économique et social quand elles ne disposaient que de la portion congrue. Cependant, ce livre n’est pas purement narratif ou descriptif, car Jean Bastide a lu, médité et mis en perspective à peu près tous les écrits sur les associations en France, tant théoriques qu’empiriques.

Le socialisme gourmand : le Bien-vivre, un nouveau projet politique

Paul Ariès. Paris, La Découverte, coll. "Les empêcheurs de penser en rond", 2012, 224 p.

"Ce livre est à la fois celui d’une défaite assumée et d’un immense espoir", ainsi s’ouvre le dernier livre, petit mais très riche, de Paul Ariès. Echecs des "socialismes réels", ceux de la "grisaille" de la "gauche sacrificielle" et des milieux de la décroissance, qui ne peut être "qu’anticapitaliste et antiétatiste" (p. 9) ; "espoir" de "recréer du collectif, de faire sécession d’avec le capitalisme […] afin de recréer un autre réel, multiplier les expérimentations sociales, réaliser ici et maintenant des petits bouts de socialisme" (p. 13) par le "syndicalisme à bases multiples, le socialisme municipal, le mouvement coopératif" et plus largement l’économie sociale et solidaire. Parmi les nombreux "gros mots de l’émancipation" qui se réinventent dans les mouvements altermondialistes, l’auteur a préféré le "mot-obus" de "socialisme gourmand" et du "bien-vivre", "pour en finir avec une "gauche" qui gère loyalement les affaires du capital tandis qu’une autre s’épuise à marcher dans les rues et à faire grève" (p. 27). La référence aux mouvements amérindiens (Equateur, Bolivie…), ce "socialisme populaire" ou "socialisme du commun", est largement explicitée, mais Paul Ariès consacre également de belles pages au mouvement coopératif, aussi bien renseignées que stimulantes.

Principes d’économie solidaire

Eric Dacheux et Daniel Goujon. Ellipses, septembre 2011.

Eric Dacheux, professeur en communication, et Daniel Goujon, maître de conférences en économie, ont donné un nouveau fruit de leur collaboration scientifique, déjà ancienne de plus de dix ans. Forts de leur attachement à l’économie solidaire, ils nous en ont proposé les Principes. Formellement, ce livre comporte 220 pages de texte, auxquels s’adjoignent un répertoire des initiatives solidaires citées, un glossaire et une bibliographie sélective. Le répertoire est utile pour quelques informations de base, quoiqu’il ne fournisse pas la chair des expériences, ce qui d’ailleurs n’est pas son rôle. Le glossaire a pour nous un statut ambigu : extrêmement utile pour un lecteur non averti, qui peut au fil de sa lecture trouver aisément des points de repère pour la compréhension des termes employés qui ne lui seraient pas familiers, il présente l’inconvénient d’osciller entre la définition didactique du dictionnaire et l’expression de l’analyse des auteurs. En ce sens, il risque toujours d’être une redite des développements du texte proprement dit. On sera beaucoup plus enthousiaste sur la bibliographie sélective, qui oriente vers quelques lectures complémentaires choisies.

Economie et société, pistes de sortie de crise

Louis Favreau et Ernesto Molina. Presses de l’université du Québec, 2011.

Ce petit livre, « fruit d’une collaboration autonome de deux chercheurs avec le Conseil québécois de la coopération et de la mutualité » (4e de couverture), s’inscrit dans le prolongement de la conférence internationale qui s’est tenue en septembre 2010 à Lévis (voir « Actualité », Recma, n° 318, octobre 2010). Le titre est en fait assez peu explicite sur le contenu de cet ouvrage, qui met surtout l’accent sur la capacité des coopératives, et plus spécialement des nouvelles formes coopératives, à « transformer à des degrés divers un modèle fondé uniquement sur les lois du marché et de la régulation publique » (p. 10). Il s’agit en d’autres termes de montrer qu’à côté du binôme régulation libérale-régulation publique, il existe une régulation citoyenne qui est nécessaire pour ré-encastrer l’économie dans la société, comme dirait Polanyi. La différence et les vertus de cette forme de régulation alternative tiennent au fait qu’au contraire des deux autres, qui relèvent d’un processus top-down – que celui-ci descende des hautes sphères de l’Etat ou de celles du marché (et du capitalisme financier) –, cette régulation citoyenne implique un processus bottom-up qui repose sur les communautés, sur le local, et qui fait des citoyens des coproducteurs et non plus des usagers ou des consommateurs (tableau p. 80).

Aide à domicile et services à la personne : les associations dans la tourmente

Petrella F. (dir.). Presses universitaires de Rennes, « Economie et société », 2012.

Cet ouvrage, dont la direction a été assurée par Francesca Petrella, de l’université d’Aix- Marseille, associe dix chercheurs, économistes, gestionnaires ou sociologues, appartenant à six laboratoires universitaires français. Il fait se croiser de façon intéressante des points de vue permettant de comprendre la situation actuellement critique des associations d’aide à domicile, directement affectées par les évolutions de la régulation publique depuis un quart de siècle. Cette actualité accroît l’intérêt de l’ouvrage non seulement pour les chercheurs qui étudient la question plus large des services à la personne, mais aussi pour les étudiants en travail social et en gérontologie, comme pour les acteurs privés ou publics engagés dans les activités d’aide à domicile en tant qu’entrepreneurs, salariés, clients ou responsables des politiques familiales et gérontologiques.

Emmaüs et l’abbé Pierre

Axelle Brodiez-Dolino. Presses de Sciences Po, Paris, 2008, 378 p.

Cet ouvrage introduit à ce qui constitue la plus grande organisation de solidarité française (269 millions d’euros de budget en 2005), en partie internationalisée, et construite derrière la figure historique de l’abbé Pierre et la communauté, comme « utopie réinventée » (p. 47). « La communauté est d’abord un lieu de travail, économiquement parce que les ramassages et la chine sont le principal revenu, et idéologiquement car le travail “remet les hommes debout”. Dans la plupart des communautés se trouve ainsi un écriteau portant l’une ou l’autre phrase édictant la deuxième règle d’Emmaüs : “Ici, tu n’es pas à l’asile. On est des hommes debout. On travaille, on gagne son pain, au service de ceux qui sont plus malheureux que nous” » (p. 172). En 1973, les quarante-sept communautés de France ont traité 30 000 tonnes de matières premières, soit un dixième de la récupération alors recensée en France (p. 176). Cet engagement se veut également transformateur. Pour faire face au problème de logement, l’Emmaüs des débuts devient une entreprise de constructions largement illégales. Une anecdote rapportée de l’abbé Pierre le souligne (p. 46), « ce n’est pas aux hommes de s’écraser devant la loi. C’est à la loi de, sans cesse, se changer pour répondre aux droits des hommes, en commençant par les plus petits ».

Manifeste pour une économie plus humaine : construire le social-business

Muhammad Yunus. Ed. J.-C. Lattès, 2011,ISBN 978-2-7096-3550-9, 304 p.

A l’heure où la crise bouche les horizons, à moins qu’elle ne libère l’imagination en nous débarrassant de nos chimères, nous ne saurions trop remercier M. Yunus de vouloir nous faire rêver. Je confesse cependant que, bonne ou mauvaise volonté de ma part, je ne sais, je ne suis pas parvenu à me laisser emporter. Il s’agit pourtant d’un livre « grand public », structuré en neuf parties, qui alternent utopie, description de réalisations concrètes, analyses juridiques ou économiques, bilans d’expériences.