À la reconquête du travail durable. L’ESS en pionnière

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Arnaud Lacan, Les Petits Matins, coll.« Mondes en transitions », 2021, 157 pages

Membre du comité de rédaction de la Recma depuis de longues années et auteur de plusieurs articles parus dans ses pages, Arnaud Lacan est un nom familier au lecteur de la revue. Le regard qu’il porte sur l’ESS est celui d’un praticien (au sein de la Maif durant une quinzaine d’années) et d’un enseignant-chercheur (à la Kedge Business School depuis quelques années). Ce regard est spécifiquement tourné, comme le titre de son livre l’indique, vers la contribution pionnière de l’ESS en matière de travail durable.
Définir le travail durable – ou l’emploi durable – n’est pas chose aisée. Il s’agit en effet d’un concept encore peu formalisé qui est apparu dans un contexte de chômage élevé persistant en référence à deux problématiques : celle de la transformation d’emplois précaires en emplois stables et celle des passerelles entre le chômage et le marché du travail. La notion de travail durable englobe tout à la fois les notions de qualité, de décence, d’utilité et de pérennité du travail, par opposition au travail précaire, aux emplois ubérisés et aux emplois inutiles (les bullshit jobs popularisés par l’anthropologue David Graeber) ou devenus inutiles du fait d’une perte de motivation au travail (ce qu’on appelle le brown-out).
D’une certaine façon, et même si elle ne se positionne pas ouvertement comme telle, la thèse que développe Arnaud Lacan dans cet ouvrage est une réponse à ceux qui voient essentiellement l’ESS comme un réservoir de sous-emplois, un lieu de surexploitation des travailleurs (salariés ou bénévoles) et un vecteur du démembrement du secteur public, conduisant à remplacer des emplois stables et bien protégés par des postes précaires. Arnaud Lacan leur oppose les études qui montrent un désir croissant de reconversion vers l’ESS en lien avec une quête de sens au travail et une volonté de contribuer à l’intérêt général de manière concrète et pragmatique.
Pour illustrer la contribution de l’ESS au travail durable, Arnaud Lacan aurait pu rappeler la plus grande résilience souvent constatée des entreprises de l’ESS, le caractère non délocalisable des emplois qu’elle propose, la meilleure équité salariale dans beaucoup d’associations ou les excellents indicateurs statistiques moyens relatifs aux conditions de travail dans les mutuelles et les coopératives. Il a choisi un autre angle, qui consiste à mettre en perspective une variété d’innovations portées par l’ESS qui contribuent à renouveler le regard porté sur les formes de travail, l’accès à l’emploi et la place du travailleur dans l’entreprise et dans sa gouvernance. Que ce soient les Scop, dont le modèle est presque bicentenaire si on considère qu’il a été fondé par Philippe Buchez en 1834, les structures de l’IAE (insertion par l’activité économique), qui sont apparues il y a une cinquantaine d’années, ou les Scic, CAE, TZCLD 1 et tiers- lieux, qui sont des modèles apparus ces vingt dernières années, ce que souligne Lacan, c’est la capacité constante et renouvelée de l’ESS à proposer des démarches innovantes en matière de travail, à favoriser l’accès à l’emploi des moins qualifiés, à expérimenter des formes de gouvernance associant les salariés. Un chapitre consacré aux risques du travail en ESS vient opportunément rappeler cependant que celle-ci n’est pas à l’abri de certaines dérives, que certaines entreprises du secteur n’échappent pas à ce qu’Albert Meister appelait la dégénérescence des organisations et qu’une part d’entre elles – spécialement des associations – sont présentes dans des métiers « aux tâches physiquement pénibles ou psychologiquement éprouvantes », où les formes d’action collective peinent souvent à émerger.
Ce petit ouvrage n’est pas exempt de certaines lacunes et ne peut de toute façon prétendre dans un volume aussi réduit (un peu moins de 160 pages) proposer une analyse exhaustive de la question qu’il aborde. On regrettera par exemple d’y lire (p. 12) que les entreprises de l’ESS réalisent 10 % du PIB national (mais il est vrai que ce chiffre non fondé est fréquemment repris, y compris par les autorités publiques en charge de l’ESS). Subsiste également une zone d’ombre que cet ouvrage éclaire peu : celle des relations de tout temps difficiles entre ESS et syndicalisme, qui expliquent en partie le peu de cas accordé au modèle entrepreneurial de l’ESS dans la réflexion actuelle sur la refonte de l’entreprise et le statut d’entreprise à mission. Cela étant, l’ouvrage d’Arnaud Lacan offre un panorama stimulant de démarches innovantes menées dans et par l’ESS, qui lui permet d’affirmer en conclusion que, « malgré son grand âge, l’ESS est toujours disruptive et innovante ».

Éric Bidet

(1) Sociétés coopératives d’intérêt collectif, Coopératives d’activités et d’emplois, Territoires zéro chômeur de longue durée