Une loi englobante

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Ce numéro 333 paraît au moment où la première loi-cadre sur l’économie sociale et solidaire (ESS) va être promulguée en France. Appelée à être une grande loi, elle ne prendra tout son sens que par l’usage qu’en fera la société française. Après tout, la loi a déjà consacré l’union d’économie sociale (UES), qui s’est révélée de peu d’effets. L’effort actuel est cependant d’une tout autre ampleur, de même que la mobilisation sociale autour de l’ESS.

Intitulée « Loi sur l’économie sociale et solidaire : entreprendre autrement pour créer des emplois sur nos territoires », elle porte dans son titre et son sous-titre beaucoup de son histoire et peu de son projet. Elaborée en 1980, c’eût été une loi sur l’économie sociale, et en 2000, une loi sur l’économie solidaire. Le sous-titre traduit la préoccupation majeure de la puissance publique plus que celle de l’ESS : si l’emploi est, en tant que besoin social fondamental non satisfait, un enjeu pour l’ESS, il est loin d’être le seul. Le sous-titre se fait en quelque sorte écho du second S de l’ESS. Car c’est au cours des années 80 que l’emploi, parce qu’il se raréfie, devient une préoccupation majeure. Et c’est aussi la massification du chômage et de l’exclusion qui suscite l’économie solidaire, alors que les coopératives et les mutuelles, confrontées de façon croissante à la concurrence des sociétés de capitaux, cherchent à faire front commun au sein de l’économie sociale. L’entrepreneuriat social a plus récemment élargi la préoccupation de l’emploi et de l’exclusion provoquée par la crise, en l’intégrant dans la définition d’une finalité sociale.

L’économie solidaire déplaçait le débat ouvert par l’économie sociale : là où celle-ci promeut des statuts, elle met en avant la solidarité. Au cours de ces dernières années, l’entrepreneuriat social l’a déplacé à son tour : la solidarité s’efface derrière l’entrepreneur social. Au terme d’un intense débat, la loi semble être traversée par chacun de ces courants qui se revendiquent de l’ESS. Elle porte ainsi la marque de son temps. Si l’on portait le regard un peu plus loin, on s’étonnerait que les syndicats, les organisations interprofessionnelles, les structures d’économie mixte, les organisations paritaires, les associations non gestionnaires ne soient pas concernées, alors que le sont les fondations des grandes sociétés de capitaux.

Peut-être également peut-on lire, à travers cette loi, la poursuite du processus d’objectivation auquel s’applique notre société : c’est le résultat et non la démarche qu’observe une société pressée par le temps. Non le processus de décision mais la décision elle-même, non le débat mais sa conclusion, non la démocratie à l’oeuvre mais la finalité poursuivie, non le sens de l’action mais le résultat : le nombre d’emplois, la participation au PIB, la somme des moyens financiers à mobiliser.

Il n’empêche : une grande loi a été votée et donne un cadre législatif étendu à l’action de plusieurs millions d’acteurs sociaux qui, à défaut de partager un projet commun, ambitionnent d’oeuvrer dans le même sens. L’usage qu’ils feront de cette loi nous dira dans quel projet elle prend corps. 

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