Les banques coopératives

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Le dossier de ce numéro 301 porte sur les banques coopératives. Les deux articles qui le composent sont issus des travaux présentés au dernier colloque de l’Association pour le développement de la documentation sur l’économie sociale (Addes). Ces contributions éclairent les évolutions actuelles de la coopération de crédit en France. A l’exception du Crédit mutuel, les groupes coopératifs français articulent des formes d’entreprises coopératives et des sociétés par actions. Jean-Noël Ory, Emmanuelle Gurtner et Mireille Jaeger montrent que ces modifications induisent de nouveaux équilibres susceptibles de générer des conflits d’intérêts et de peser sur l’identité coopérative. Le dernier exemple en date est la création de Natixis par les Banques populaires et la Caisse d’épargne, présentée par les auteurs. Nadine Richez-Battesti, Patrick Gianfaldoni, Georges Gloukoviezoff et Jean-Robert Alcaras posent le même problème, mais leur enquête vise à mesurer non les pratiques qui risquent de disparaître, maiscelles qui se maintiennent.

Pascal Perrot propose de nouvelles évaluations et présentations comptables pour permettre aux associations de mesurer les apports gratuits, tel le bénévolat par exemple. L’évaluation est une question récurrente plus souvent traitée de façon théorique que pratique : à dominante comptable, cet article permet de passer aux actes et de poser les premières briques d’une comptabilité spécifique de la « valeur ajoutée sociale », version gestionnaire des « spécificités méritoires » chères à François Bloch-Lainé.
Poursuivant son travail de fond sur Charles Gide, Marc Pénin en montre l’actualité : les questions comme le commerce équitable, la qualité et la traçabilité des produits ou la protection de l’environnement redonnent un intérêt aux thèses fondatrices du théoricien de l’économie de la consommation.
Maurice Parodi écrit dans ce numéro au titre de président du jury de l’Addes. Sa lecture avisée des trois travaux primés cette année a motivé cette publication, qui est l’occasion de faire un tour d’horizon, partiel mais significatif, des théories mises à contribution par les auteurs pour étudier successivement le militantisme mutualiste, l’entreprise et le travail associatif, les politiques d’action sociale.
Ce numéro livre enfin un article moins académique. Nous avons reçu de Richard Ribière une interview de Xavier Junique, ancien trésorier de la société mutuelle agricole de Caluire et Cuire. Patricia Toucas a accepté de l’introduire et de la mettre en perspective. Cette interview donne la mesure de l’évolution récente des pratiques mutualistes et plus largement des pratiques de l’économie sociale.
Dans certains cas, l’évolution des pratiques ne suscite pas de regrets, car elle permet de mieux servir les attentes des membres, elle renforce le pouvoir et l’action des sociétaires, associés ou mutualistes et, plus largement, ceux de l’ensemble de la société.
Dans d’autres cas, elle suscite l’interrogation. Reprenons la lecture du premier article de ce numéro : l’irruption d’actionnaires, même ne disposant pas de droit de vote, dans le secteur coopératif bancaire – mais on pourrait élargir à d’autres secteurs de l’économie sociale – est-elle une évolution souhaitable? C’est une question qui mérite d’être posée même lorsque l’on pense que cette évolution est inévitable. Nous savons qu’il y a un antagonisme entre les principes coopératifs et ceux de la société par actions, antagonisme qui peut d’ailleurs se manifester au détriment des actionnaires ou au détriment des sociétaires, comme le précisent Ory, Gurtner et Jaeger.
Toutefois, nouveaux venus et moins engagés, les actionnaires ont moins à perdre que les sociétaires. Même encadrés, ainsi qu’ils le sont généralement dans les groupes coopératifs, les actionnaires et la SA pèsent sur les objectifs de la coopérative, le pouvoir des sociétaires, la cohésion de l’ensemble. Les recherches de René Mauget sur les groupes agro-alimentaires (cf. Recma n°278, 279 et 297) montrent que les coopératives engagées dans ce type de structuration sont amenées à choisir la délocalisation plutôt que la territorialisation et que les coopérateurs ont parfois intérêt à être clients de la SA détenue par la coopérative mère plutôt que sociétaires de celle-ci. Cet antagonisme rend la question suivante inévitable : quand l’entrée d’actionnaires est proposée, comment le sociétaire appelé à se prononcer peut-il acquérir la capacité de savoir si sa coopérative peut ou non se passer de cet apport de capital externe ? Et, le cas échéant, comment peut-il imaginer une alternative moins risquée pour le projet coopératif ? Et s’il acquiert la conviction que cette évolution est inévitable parce qu’elle conditionne la survie de l’entreprise, comment peut-il s’assurer que le résultat ne soit pas essentiellement dépendant du dividende versé à l’actionnaire ? Plus largement, comment le sociétaire peut-il maintenir sa liberté de choix politique ? Et plus fondamentalement encore, comment faire pour que le statut d’actionnaire ne devienne pas enviable pour le sociétaire ? Et pour finir, comment faire en sorte que le capital collectif des coopérateurs, principale dimension de la solidarité coopérative, ne soit pas progressivement amputé ? Questions à venir… et question d’avenir.

Jean-François Draperi