Vers une république des biens communs

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Nicole Alix, Jean-Louis Bancel, Benjamin Coriat et Frédéric Sultan (dir.), Les liens qui libèrent, 2018, 320 pages.

La question des communs est aujourd’hui centrale. Ceux-ci sont des ressources partagées et gouvernées par des communautés qui ont donc à leur égard des droits et des obligations. Dans cet ouvrage, cette notion désigne « un fonds commun de ressources partagées par des collectivités plus ou moins amples et larges, et ce même si l’existence de ce (fonds) commun partagé n’implique pas que les ressources concernées soient entièrement régies par des règles qui prévalent dans un commun entendu au sens strict ». Les coordinateurs du livre soulignent d’emblée que nous serions entrés dans un nouvel âge des communs : une ère qui marque leur enracinement dans la société, mais surtout leur extension à de nouveaux domaines de la vie sociale.
Pour ces auteurs, la proximité entre la question des communs et celle de l’économie sociale et solidaire (ESS) est réelle et permet de comprendre les mutations qui s’opèrent dans le milieu de la coopération. Aujourd’hui, toute la question est de savoir comment le monde des communs peut, pour reprendre les termes des auteurs, « redonner sens et vie à nombre d’entités de l’ESS engoncées dans des routines ou contrariées par des régulations inadaptées ». À l’inverse, il s’agit également de voir comment l’ESS peut alimenter la réflexion sur les communs.

Quelles communautés pour porter les communs ?
L’ouvrage est organisé en cinq parties : le travail, l’entreprise, le numérique, les territoires et l’action publique. Le thème du travail est central dans la mesure où il est profondément lié à la qualité de vie des citoyens. Le développement du fordisme après la Seconde Guerre mondiale a reposé sur l’extension du salariat, prépondérant dans les sociétés capitalistes dans la mesure où le salaire direct est associé à un ensemble de droits indirects : le bénéfice d’un dispositif de protection sociale (maladie, retraite, etc.). Depuis la fin du XX e siècle, cette architecture sociale est remise en cause d’abord par le développement d’un chômage de masse, ensuite par l’effritement de la relation salariale traditionnelle et l’émergence des formes particulières d’emploi : contrats à durée déterminée, intérim, travail partiel, travail précaire, etc. Si, dans certains cas, les formes institutionnelles éprouvées de l’ESS peuvent être utilisées (coopératives, associations...), dans d’autres, il faut innover. C’est ce que montre cette partie.
L’évolution des formes d’entreprise et la recherche de façons alternatives d’entreprendre sont également au cœur des interrogations du moment. L’intérêt de la deuxième partie est de montrer qu’il ne peut y avoir de communs sans communauté pour les porter. En d’autres termes, il importe de réconcilier l’entreprise avec la communauté qu’elle est censée servir. Comme le montrent les auteurs, depuis la fin du XIX e siècle, les organisations non capitalistes ont été dépouillées de leurs armes économiques. Ainsi, la gestion des œuvres sociales des entreprises a été confiée aux comités d’entreprise et non aux syndicats. Les avantages liés à la production d’un patrimoine collectif (c’est-à-dire un commun) reposent sur un engagement des sociétaires, des salariés ou des usagers à renoncer à leurs parts.
La troisième partie du livre concerne la question numérique, qui est devenue en quelques années, comme le rappellent les auteurs, le Graal des communs. En effet, le développement d’Internet a favorisé l’essor de plateformes avec des coûts réduits et la constitution de réseaux de ressources informationnelles. Mais, pour qu’un réseau soit effectivement un commun, deux conditions doivent être réunies. Soit une communauté gère la ressource commune en garantissant à tous un accès sans discrimination – l’exemple de Wikipédia est, sur ce point, caractéristique. Dans ce cas, le régime de propriété partage les droits entre les différents usagers (commons property regime). Soit une réglementation effective (c’est-à-dire capable de s’appliquer avec, en cas de manquements aux règles, des sanctions) garantit l’accès à la ressource à tous les usagers – il s’agira ici d’un open commons. Dans ce cas, le nombre d’usagers est important et aucune communauté ne gère la ressource. Ce secteur est complexe et ses frontières bougent sans cesse, d’autant plus qu’il est à la merci des Gafam.

Des liens avec la démocratie, l’écologie, l’action publique...
Dans la quatrième partie, les auteurs mettent en relation la question des communs et celle de la démocratie, de l’écologie et du développement. Les communs permettent de déployer des solutions innovantes. Ainsi, la gestion d’une ressource halieutique n’est pas possible sans la mise en œuvre d’une organisation de la communauté des pêcheurs. Dans cette perspective, il est nécessaire pour une communauté de définir des modes de gouvernance permettant de garantir la sincérité des échanges et la prise en compte des intérêts de chacun de ses membres. Les communs, notamment quand ils concernent des droits d’accès universels (ponts, routes, etc.), participent à l’essor des activités commerciales. Toute la question est de savoir comment l’initiative citoyenne peut participer à l’édification du bien commun.
La dernière partie se focalise sur la question des communs et de l’action publique. Elinor Ostrom soutenait que les communs constituent une voie une voie médiane entre le marché et l’État. Les auteurs montrent que l’idée de commun doit s’entendre dans plusieurs sens. Dans le premier, le commun est une communauté auto-organisée s’appuyant avant tout sur le partage des droits. Les réflexions des juges américains de la common law ont favorisé l’émergence d’un open commons où l’État est le garant de la liberté des droits des usagers du commun. La différence par rapport à la définition d’Elinor
Ostrom est importante dans la mesure où, dans ce deuxième cas, la puissance publique est garante du commun. Comme le montrent les contributeurs de l’ouvrage, la relation entre l’État et les communs est avant tout complexe.
Le commun n’existe et ne se développe que si la puissance publique favorise sa mise en œuvre et son essor.


Les communs ont essaimé dans un nombre important de secteurs. Aujourd’hui, il semble que nous entrions dans une nouvelle phase d’enracinement dans des domaines assez différents. L’intérêt de l’ouvrage est de montrer que le rôle des communs n’est pas de venir compenser l’inefficacité du secteur marchand, mais au contraire d’être l’instrument d’une citoyenneté refondée. Les communs pourront alors se déployer comme une forme économique renouvelée, au service du bien commun. Cette évolution préfigure-t-elle l’émergence d’une République des communs ? Cet ouvrage très intéressant constitue une première réponse.

Jean-Paul Domin