Médiations catholiques en Europe du Sud. Les politiques invisibles du religieux

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Xavier Itçaina, 2019, 269 pages, Presses universitaires de Rennes

Voici un livre intelligent et très original qui propose une lecture renouvelée des rapports entre le religieux et le politique dans des pays touchés plus tardivement que d’autres par le processus de sécularisation : l’Espagne et l’Italie et, dans une moindre mesure, la France. L’auteur, Xavier Itçaina, d’origine basque, est directeur de recherche CNRS à Sciences Po-Bordeaux (Centre Émile Durkheim). Ce livre est la version remaniée de son mémoire d’habilitation à diriger des recherches (HDR), ce qui explique son caractère érudit, quoique très lisible. C’est aussi le résumé d’une dizaine d’années d’enquêtes de terrain dans les trois pays précités auprès d’organisations de l’économie sociale et solidaire d’inspiration catholique plus ou moins explicite.
À l’origine de ce travail, il y a le constat que les médias des trois pays en question s’intéressent prioritairement aux manifestations catholiques d’opposition à la loi dans le domaine des politiques familiales, éducatives ou bioéthiques : la Manif pour tous en est un exemple en France. Xavier Itçaina soutient et prouve par l’exemple que cet affrontement binaire entre Église et État est moins important, moins porteur de sens, que leurs relations durables produites par l’histoire et exercées localement. Les actions de médiation dont traite le livre, ce sont les politiques invisibles (car faiblement médiatisées) du religieux. Elles sont déclinées en quatre registres : le répertoire entrepreneurial (coopératives et entreprises sociales), celui de la subsidiarité (organisations de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale), celui de l’hospitalité (associations d’accueil et d’intégration des immigrés et des réfugiés) et enfin celui de la paix, consacré essentiellement au rôle des organisations catholiques dans la résolution du conflit basque des deux côtés de la frontière.
L’Église catholique est une organisation hiérarchique, à gouvernance non démocratique, qui dispose d’un maillage territorial exceptionnellement serré, ce qui la rapproche des associations. Mais le monde catholique s’étend bien au-delà des organisations formelles reliées à la hiérarchie ecclésiale, comme Caritas ; il est pluriel et politiquement multiple, avec des clivages entre lignes conservatrices et progressistes, déclinées en quatre courants : de droite à gauche, les courants conservateur, libéral, communautarien et libérationniste. Le croisement des quatre répertoires de médiation avec les quatre courants qui traversent la sphère catholique est à la base du travail d’enquête dont découle cet ouvrage.
Les terrains d’investigation reflètent cette problématique et appartiennent à l’aire culturelle catholique : le pays basque espagnol et deux territoires italiens où l’économie sociale est très présente, mais l’un longtemps gouverné par la démocratie chrétienne (la province de Brescia en Lombardie) et l’autre de tradition politique socialo-communiste (la province de Forli-Cesena en Émilie-Romagne) ; en France, il s’agit de la région Aquitaine, qui sert davantage de variable de contrôle que  d’unité comparative à part entière.
Le premier chapitre du livre traite des fondements d’une médiation catholique plurielle, ce qui amène l’auteur à résumer la doctrine sociale de l’Église à travers les encycliques et autres écrits pontificaux. La vision de la société civile qui en découle est confrontée aux grands courants économiques et aux idéologies qui traversent l’économie sociale, ce qui permet d’identifier quatre points communs entre la doctrine sociale de l’Église et l’économie sociale : centralité et liberté de la personne, subsidiarité 1 , solidarité et participation des membres. Ce chapitre traite enfin du problème essentiel des relations très différentes dans les trois pays entre Église et État, entre concordat et séparation, résumées par un tableau comparatif très clair page 52, et il montre le stade atteint par chaque pays dans le processus de sécularisation.
Le deuxième chapitre s’intitule « Le répertoire entrepreneurial : entre moralisation du capitalisme et alternatives utopiques au système capitaliste ». Après avoir montré que les matrices catholiques du développement local appartiennent au temps long et qu’elles se sont progressivement sécularisées, Xavier Itçaina analyse l’expérience du coopérativisme basque, dont le groupe Mondragon est la figure emblématique puisqu’il est né d’un creuset idéologique associant mouvement ouvrier, identité basque, anti-franquisme et catholicisme social incarné par le prêtre José Maria Arizmendiarrieta. Les deux terrains italiens montrent un éventail complet des nuances politiques de la médiation, avec des rôles très divers du marché et des pouvoirs publics, et un ancrage territorial toujours fort mais reposant sur des réseaux associatifs catholiques bien différents, comme le résume le tableau de la page 96. Ces deux régions italiennes seront à l’origine du développement des coopératives sociales et plus récemment des entreprises sociales.
Le troisième chapitre, consacré au répertoire de la subsidiarité, analyse le travail social et politique des acteurs catholiques face à la crise économique déclenchée en 2008, beaucoup plus violente en Espagne et en Italie qu’en France, où l’État social a été moins démantelé. Les quatre terrains d’étude sont des régions initialement aisées qui ont été gravement atteintes par la désindustrialisation et ses corollaires : chômage, précarité et surendettement. Le Secours catholique, Caritas et d’autres associations catholiques offrent aux plus démunis une aide d’urgence et des services de base, mais les organisations catholiques les plus innovantes dans le champ de l’ESS veulent favoriser l’émancipation plutôt que l’assistance. Elles proposent aux personnes nouvellement touchées par la pauvreté une réhabilitation par la finance solidaire, une aide à la création d’entreprise, un groupement d’achats solidaires et une insertion par l’économie. Parfois, la subsidiarité devient substitution quand l’État est défaillant dans ses missions essentielles, mais, en Espagne comme en Italie, des relations partenariales entre État et tiers-secteur ont émergé en raison de la crise, ce qui rapproche ces pays de l’Europe continentale. Les associations catholiques sont alors consultées pour leur expertise du travail social et elles joignent souvent le plaidoyer à l’action sociale.
Le répertoire de l’hospitalité, objet du quatrième chapitre, montre la politisation inévitable de l’enjeu migratoire. C’est sans doute la partie la plus actuelle et originale de cet ouvrage. Dans les pays méditerranéens étudiés ici, l’Église, face aux vagues migratoires, agit comme un groupe de pression en faveur de l’hospitalité, vertu évangélique. Le rôle d’avant-garde du monde catholique est net auprès de pouvoirs publics qui craignent la montée du populisme et de la xénophobie. Pour intégrer les personnes migrantes, quatre logiques sont évoquées selon que les organisations appartiennent au catholicisme d’identité ou au catholicisme d’ouverture : la logique caritative voit l’immigré comme pauvre ; la logique solidariste comme frère ou camarade de lutte ; la logique utilitariste s’intéresse à lui en tant que travailleur ; et enfin la logique politique le considère comme porteur de droits politiques ou aspirant à en obtenir, ce qui fait des associations catholiques des partenaires privilégiés de la puissance publique. Le retour sur le terrain souligne le rôle pionnier de ces associations et de leurs mobilisations, qui se situent entre médiation et plaidoyer.
Le cinquième et dernier chapitre, qui traite du répertoire de la paix, s’éloigne de l’économie sociale. Il analyse le rôle de la hiérarchie et des milieux catholiques dans la résolution des conflits politiques violents. Après avoir montré que ce rôle ne peut pas s’exercer uniquement dans les conflits à dimension religieuse, comme en Irlande, Xavier Itçaina s’attache à montrer comment l’Église a délibéré sur le conflit basque alors qu’elle était elle-même tiraillée entre quatre attitudes vis-à-vis de ce conflit (tableau page 200). Délibération externe, puisque l’Église a facilité les contacts entre les protagonistes du conflit ; mais aussi délibération interne, car la question basque a posé problème au sein du gouvernement de l’Église espagnole, au synode de Bayonne notamment.
En Italie, la médiation catholique s’est exercée dans la guerre contre les mafias et s’est attachée, comme au Pays basque, à la figure de la victime des violences. Les catholiques, alliés aux partis de gauche, ont travaillé à l’obtention de la loi qui, en lien avec les collectivités locales, attribue à des coopératives les biens confisqués à la criminalité organisée.
Cette rapide recension simplifie à l’excès un ouvrage d’une grande finesse. On admire la connaissance profonde des très nombreuses organisations observées, la qualité exceptionnelle des entretiens, retranscrits sous forme de verbatim, avec les personnes qui ont partagé avec le chercheur leur itinéraire, leurs interrogations sur leur mission et leurs conflits de valeurs. Ce qui implique évidemment que Xavier Itçaina s’exprimait dans leur langue. On apprécie aussi la profondeur des analyses des textes qui constituent la doctrine sociale de l’Église.
Enfin, il est réconfortant de savoir que, si les églises se vident en Espagne et en Italie (comme en France, quoique plus tard), les catholiques non pratiquants ou ceux qui ont une lointaine culture catholique se retrouvent ailleurs, avec d’autres, dans une action militante d’économie sociale et une co-construction des politiques publiques.

Édith Archambault

(1) Selon ce principe, issu de l’encyclique Quadragesimo Anno (1931), l’État n’a pas à intervenir pour satisfaire un besoin social quand une organisation plus proche des personnes concernées peut y subvenir (famille, association, collectivité locale...).