L’économie sociale et solidaire

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Timothée Duverger, coll. « Repères », La Découverte, 2023, 127 pages.

L’économie peut-elle être « sociale et solidaire » ? Un défi auquel Timothée Duverger nous invite à réfléchir à travers son ouvrage dans la collection Repères La Découverte, en 127 pages. Il nous offre un écrit ambitieux, concis, remarquable et extrêmement dense ou il synthétise les principes, les statuts d’une ESS qui connait une reconnaissance internationale malgré son caractère d’« archipel aux caractères insaisissables ».
L’ouvrage se structure autour de cinq chapitres. Les deux premiers sont classiques mais incontournables et nécessaires. Timothée Duverger propose de brosser une approche historique des évolutions de l’économie sociale et de l’ESS pour mettre en perspective les évolutions et inflexions qui s’inscrivent dans un processus long d’institutionnalisation. La reconnaissance internationale dont bénéfice l’ESS résulte donc une trajectoire d’adaptions, de luttes pour se faire une place entre l’État et le système capitaliste conventionnel. Sa perspective de la construction institutionnelle de l’ESS lui permet d’introduire et de distinguer de façon très pédagogique les notions d’associativisme, d’économie sociale, de solidarisme, d’entrepreneuriat social tout en explicitant, à travers l’approche historique des mouvements coopératif, mutualiste et associatif, la construction lente de ce que l’on nomme aujourd’hui l’économie sociale et solidaire. Une fois la définition inclusive actée par la Loi Hamon en 2014, il complète la présentation de l’ESS en mobilisant le cadre légal, la représentation statistique de ce que représente l’ESS complétée par une comparaison internationale. La vocation de la Loi Hamon aura été de rassembler cet ensemble disparate (hétéroclite) autour des principes, valeurs et de la logique sociale pour expliquer l’inclusion des fondations mais aussi des entreprises de droit commercial cherchant une utilité sociale à travers l’agrément ESUS. L’orientation de l’ESS s’infléchit vers une logique socioéconomique accompagnant le changement d’échelle dans une logique d’innovation sociale pour répondre aux besoins mal ou non satisfaits. Dès lors, il est possible de préciser sa prise en compte au travers des chiffres de l’ESS en France comme à l’international. Cette dernière dimension permet aussi à Timothée Duverger de revenir sur les termes afin de préciser les contours et la diversité des modèles de l’ESS et de l’entreprise sociale, développés aussi bien au sien des instances internationales (OIT, ICA) que par les différents programmes de recherche (voir les travaux de Carlo Borzaga, Jacques Defourny et Marthe Nyssens en particulier).
Cette approche est particulière intelligente car d’une part elle donne une lecture analytique des dynamiques d’institutionnalisation sur le temps long dans son processus d’évolution cher aux évolutionnistes d’essais-erreurs tant de la part des pouvoirs publics que de celle des « acteurs de l’ESS » (une sorte de dépendance du sentier) mais d’autre part, elle offre une image recomposée de cet ensemble, visant non pas à uniformiser mais à mettre en cohérence les unités, les valeurs et les logiques d’actions dans un tableau d’ensemble. Il se dessine donc une mise en lumière des liens visibles et invisibles qui associent les acteurs dans les interactions et la construction de leur cadre institutionnaliste en France comme dans les différents continents. Ces deux premiers chapitres, certes nécessaires, sont donc loin de relever d’un simple exercice imposé pour nous offrir en filagramme une grille analytique qui va se développer dans les trois chapitres suivants.

En effet, Timothée Duverger s’attache ensuite aux caractéristiques qui fondent l’originalité et la singularité de l’ESS afin de la sortir de sa « marginalité » et d’en révéler le pouvoir transformateur. Tout d’abord, il aborde aux différentes échelles, à savoir, les niveaux méso et macro. Y a-t-il et si oui, quelles seraient les spécificités de l’inscription de l’ESS à ces niveaux ? Dès lors, l’auteur propose une lecture des liens entre les unités de l’ESS et le territoire. Si le lien au territoire de l’ESS est souvent affirmé plus que démontré, l’ancrage au territoire demeure une caractéristique intrinsèque de ces unités via les processus d’institutionnalisation. Le processus de construction du territoire qui relève d’une action collective, se nourrit non seulement des valeurs
et principes de l’ESS mais du « travail politique » combinant action publique et action collective dans la fabrique du territoire. L’auteur inscrit ainsi sa démonstration de l’ancrage de l’ESS dans un construit territorial. En miroir, il nous propose d’aborder l’européanisation et la globalisation de l’ESS afin de souligner sa capacité d’action au niveau international. La reconnaissance historique dont bénéficie l’ESS avec les déclarations de l’OIT et de l’OCDE en 2022 et celle de l’ONU en avril 2023 souligne le pouvoir transformatif de cet autre mode d’entreprendre.
Ensuite, il conduit la réflexion sur ce qui fonde l’identité de l’ESS, au-delà des statuts. Il décortique alors les processus d’isomorphisme associés au risque de banalisation. L’ESS peut-elle conserver son « âme » dans un environnement institutionnel et concurrentiel ? Il revient ainsi sur ses identités en recomposition. Face aux pressions, l’ESS se transforme dans ses méthodes managériales (professionnalisation des associations), ses modes de financements (entreprenariat social et impact social) et ses liens au travail (souvent un « impensé » des organisations de l’ESS). Il nous propose alors de rappeler que la ligne de fond de ces organisations, demeure la démocratie et sa mise en œuvre.
Dans un dernier chapitre, le questionnement de l’identité des unités de l’ESS comme archipel conduit à dresser les tendances ou les défis auxquels doit se confronter l’ESS et qui seront les défis à relever pour devenir la norme souhaitable de l’économie de demain. Il identifie ainsi trois scenarios qui passent par la refondation de l’entreprise et de ses déclinaisons à travers la RSE, l’entreprise à mission et autres formes qui interrogent directement la capacité de l’entreprise de l’ESS à se différentier et à apporter des solutions à la création de valeur et à son partage pour répondre aux transitions. Il aborde en suite les dynamiques d’action collective et les questionnements éclairés à partir de l’approche des communs (en lien avec les travaux d’Ostrom et autres recherches autour du « faire commun ») et la contribution de l’ESS à la recomposition de l’action publique. Enfin, il souligne le projet politique dont l’ESS est porteuse avec ses « raison d’agir » (voir ESS France et l’ouvrage de Jérôme Saddier).

L’ouvrage de Timothée Duverger est donc remarquable à plus d’un titre. D’une part, il offre une synthèse précise et rigoureuse, accessible au plus grand nombre. D’autre part, il étaye son propos avec de très nombreuses sources bibliographiques, autant diversifiées qu’interdisciplinaires, qui révèlent la reconnaissance académique croissante de l’ESS et l’adhésion dont elle fait l’objet en France comme à l’international. Enfin sa mise en perspective se fait sans gommer les faiblesses ni les risques encourus par l’ESS mais pour mieux encore souligner le potentiel et les défis qu’elle se doit de relever dans une recomposition de l’entreprise et de la société et dans les réponses qu’elle se doit apporter pour défis des transitions. Il invite ainsi les chercheurs comme les praticiens à poursuivre les pistes de réflexion. Cet ouvrage est déjà un classique de part son format concis et son approche complète, un manuel de travail et d’action pour les étudiants, les chercheurs, mais aussi les citoyens.

Maryline Filippi
Professeure d’économie industrielle à Bordeaux Sciences Agro et chercheuse associée à l’INRAE AgroParisTech, Paris Saclay