L’économie sociale en Afrique : les perspectives du nouveau droit Ohada

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L’Organisation pour l’harmonisation en Afrique du droit des affaires (Ohada) est née d’un traité signé à Port-Louis (île Maurice) le 17 octobre 1993, avec pour objectif principal de parvenir à une intégration juridique à travers l’harmonisation – ou, mieux, l’uniformisation – du droit des affaires en Afrique. L’institution regroupe dix-sept Etats (Bénin, Burkina Faso, Cameroun, Comores, Congo, République démocratique du Congo, Côte d’Ivoire, Gabon, Guinée, Guinée-Bissau, Guinée équatoriale, Mali, Niger, République centrafricaine, Sénégal, Tchad et Togo). La formule utilisée pour uniformiser le droit des affaires est l’adoption d’actes uniformes dont les dispositions sont directement applicables dans les Etats membres. Le neuvième, relatif au droit des sociétés coopératives, a été adopté le 15 décembre 2010 à Lomé, au Togo, et a été publié au journal officiel de l’Ohada le 15 février. Si le texte constitue une avancée importante pour le développement des sociétés coopératives en Afrique, il laisse une grande liberté aux statuts.

Des principes coopératifs seuls, conformes aux termes de l’ACI

Sa préparation remonte aux années 2000. Au départ, il était question de mettre en place une législation sur les coopératives et les mutuelles. Pour des raisons techniques (difficultés à agencer des dispositions relatives à deux entreprises en un seul texte, évolution d’un projet de règlement relatif aux mutuelles sociales dans l’Union économique et monétaire ouest-africaine, doutes sur l’appartenance du droit des mutuelles au droit des affaires…), le projet a finalement été limité aux seules coopératives en 2005.

Le texte comprend 397 articles et est subdivisé en quatre parties dont seules les deux premières retiendront notre attention. La première porte sur les dispositions générales (constitution, fonctionnement, transformation, fusion, scission, dissolution, liquidation et nullité de la coopérative), tandis que la deuxième est consacrée aux dispositions particulières aux différentes catégories de sociétés coopératives, à savoir la société coopérative simplifiée et la société coopérative avec conseil d’administration. Cette législation coopérative présente le mérite de se conformer aux règles internationales. Ses articles 4 et 6 reprennent en effet presque mot pour mot la définition et l’énumération des principes coopératifs proposés par l’Alliance coopérative internationale. Toutefois, le texte appelle quelques remarques d’ordre juridique.

Règles de concurrence et de fiscalité non définies

Au sujet de la fonctionnalité des règles, la première remarque est générale et concerne le critère de définition des différentes catégories de sociétés coopératives. Si l’acte uniforme consacre une coopérative simplifiée et une coopérative avec conseil d’administration, dans la plupart des cas le critère utilisé est celui de l’activité et non celui de la gestion, qui nous semble premier. A notre avis, les règles spéciales définies par l’acte uniforme auraient pu être développées dans les chapitres consacrés au fonctionnement de la coopérative. Le législateur se serait alors concentré, dans la partie consacrée aux différentes catégories de coopératives, sur les activités les plus déterminantes pour le développement de l’Afrique telles que l’agriculture, l’épargne et le crédit ou l’habitat et le logement, pour créer les formes de coopératives correspondantes : coopératives agricoles, coopératives d’épargne et de crédit et coopératives d’habitat et de logement. Cela aurait été également l’occasion de fixer le régime économique des coopératives (règles de concurrence, de fiscalité, de comptabilité et des aides publiques), afin de faire taire tous les débats au sujet de ce mode d’entrepreneuriat.

Grande liberté statutaire

En comparant l’acte uniforme aux législations nationales, il ressort qu’il consacre une forte liberté statutaire. Désormais, c’est aux statuts qu’il revient de fixer la durée du mandat des dirigeants sociaux et les modalités des élections, de déterminer le taux de rendement des parts sociales, d’indiquer le montant de leur remboursement à l’occasion de la sortie de coopérateurs, de préciser le nombre maximal de parts sociales que peut détenir un seul associé coopérateur… Cette large compétence accordée aux statuts se traduira certainement par la mise à mal de l’égalité entre les membres et, ipso facto, du principe démocratique auquel l’acte uniforme déclare adhérer. Ce pourrait être le cas si les statuts permettent par exemple à un coopérateur de détenir seul plus de la moitié du capital social ou si la coopérative procède à une réévaluation des parts ou les rembourse en valeur réelle, ou encore si elle rémunère ces parts sociales à un taux très élevé. Cette liberté peut ainsi inciter la coopérative à mettre en oeuvre des pratiques peu compatibles avec la tradition coopérative.

Plus positivement, l’acte uniforme relatif au droit des sociétés coopératives va, comme les autres actes uniformes, servir l’intégration à la fois juridique et économique de l’Afrique. Cela se fera surtout par le biais des réseaux coopératifs de moyens ou d’objectifs. Ces réseaux constituent le quatrième pilier de la communautarisation classique des coopératives autour des unions, des fédérations et des confédérations de coopératives. Au regard des règles qui les encadrent, tout porte à croire qu’ils faciliteront le regroupement et la concertation entre coopératives au-delà des frontières nationales des pays membres, indépendamment du secteur d’activité.

Maintien des spécificités nationales

Sur la technique juridique, il nous semble que l’Ohada se détache du mécanisme de l’uniformisation pour progresser vers une approche mixte harmonisation-uniformisation. En effet, si l’acte uniforme ne définit en principe que des règles générales (droit commun), c’est pour laisser implicitement compétence aux autorités nationales de fixer les règles spéciales. Sur le plan fonctionnel, cette stratégie paraît d’autant plus appropriée que d’un pays à l’autre les catégories spécifiques peuvent varier. Elle est toutefois contraire à la volonté que s’est donnée l’Ohada d’établir un droit uniforme applicable dans tous ses Etats membres.

Avant l’acte uniforme, la coopérative d’épargne et de crédit était quasiment la seule catégorie particulière de coopérative prévue dans les législations nationales ou communautaires. L’acte uniforme n’a pas abordé les règles y afférentes et renvoie explicitement à ces législations nationale ou communautaire. Un problème de concordance se pose. Ces législations nationale ou communautaire, en tant que législations spéciales, ont été conçues en harmonie avec le droit commun national. Il n’est pas évident que leur connexion actuelle au droit commun Ohada fonctionne harmonieusement, tant les deux droits communs peuvent ne pas partager la même logique juridique. Cette difficulté ne se rencontrera pas dans les autres familles qui sont encore en construction et dont l’élaboration des règles se fera directement et conformément au droit commun Ohada.

L’adoption de l’acte uniforme relatif aux sociétés coopératives a donné lieu à d’importants débats et les opinions divergent encore, notamment sur l’éviction du droit des mutuelles du cadre de l’Ohada. En maintenant un acte uniforme relatif au droit des sociétés coopératives et mutualistes, l’Ohada aurait marqué un pas dans la construction d’un droit de l’économie sociale en Afrique. L’adoption de règles applicables tant aux coopératives qu’aux mutuelles aurait pu constituer un enrichissement substantiel pour le droit coopératif au regard de l’interpénétration connue entre coopération et mutualité dans le quotidien de l’Afrique.

Willy Tadjudje, doctorant, université du Luxembourg


Texte paru dans le numéro 320 de la Recma