L’économie sociale n’est pas un ensemble d’entreprises

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Ce numéro paraît pendant le Mois de l’économie sociale et solidaire, un mois qui prend une ampleur insoupçonnée : l’attente envers « l’économie qui sait où elle va » ne cesse de croître et l’on peut sans exagérer affirmer que cette attente dessine de façon croissante l’histoire contemporaine de l’économie sociale et solidaire. C’est donc sans doute l’heure de toutes les chances et de tous les dangers. L’attribution du prix de la Banque de Suède en sciences économiques en mémoire d’Alfred Nobel à Elinor Ostrom pour ses travaux sur les « communs » est un témoignage insigne de l’actualité de l’économie sociale. E. Ostrom – première femme à obtenir cette distinction – a travaillé sur la propriété et la gouvernance collectives que constituent les biens communs. Ce prix intervient au moment où, partout dans le monde, des populations s’organisent pour récupérer des biens communs qui ont été aliénés (par exemple des sous-sols exploités par des multinationales).

L’un des apports décisifs de E. Ostrom est précisément de montrer que, loin d’être des ressources, les communs sont une forme de propriété collective : il n’y a pas de commun sans communauté. Traduisons : ni d’entreprise d’économie sociale sans collectif de sociétaires. C’est le thème transversal de ce numéro 314.

Amélie Artis, Danièle Demoustier et Emmanuel Puissant analysent la façon dont l’économie sociale intervient sur le développement de six territoires. La clef principale de la compréhension de cet impact réside dans l’importance de l’activité intersectorielle, en cohérence avec la démarche transversale du développement local.

Patrick Haddad analyse l’évolution des services à la personne. Il répond à une question centrale: comment l’ESS peut-elle se positionner – autrement que par une attitude défensive – dans un contexte de marchandisation accrue ?

La fidélité des adhérents à leur coopérative agricole est l’objet d’une recherche approfondie proposée par Valérie Barraud-Didier et Marie-Christine Henninger. Parmi les déterminants, évidemment très nombreux, soulignons ceux sur lesquels on peut agir directement : l’implication dans la coopérative et la confiance que les agriculteurs ont dans leurs dirigeants sont décisives.

Dans un article théorique, Bernard Enjolras se penche sur la gouvernance des organisations non lucratives. Sa conclusion, aux implications pratiques évidentes, fait écho à l’article précédent : la confiance dans une association est en rapport direct avec la capacité de celle-ci à dépasser ses tensions internes. La gouvernance, les problèmes qu’elle doit affronter, la mise en place de normes de réciprocité et d’actions de mutualisation sont des questions centrales pour des administrateurs.

La mesure du bénévolat est une question complexe. Edith Archambault et Lionel Prouteau font un tour d’horizon de la littérature scientifique française et anglo-saxonne qui lui est consacrée. Ils proposent de nouvelles mesures, y compris monétaires, en s’appuyant sur un questionnaire du Bureau international du travail. Ils soulignent également l’importance de cette évaluation dans la reconnaissance du bénévolat.

A l’heure où l’on mesure l’impact économique de l’économie sociale et où le terme le plus fréquemment mis en avant est celui d’entreprise d’économie sociale ou d’entrepreneur social, il est essentiel de souligner qu’au-delà de l’entreprise, il y a toujours l’organisation, et en économie sociale, l’organisation collective.

Englobant l’entreprise comme lieu de production des biens et services, l’organisation suppose l’adhésion et l’implication bénévole de ses membres, leur confiance dans leurs dirigeants, la régulation de leurs relations internes, leurs capacités à partager et à mutualiser, l’essor de relations transversales avec d’autres acteurs, etc.

L’économie sociale ne rassemble pas des entreprises, elle regroupe des organisations de personnes, dont l’action collective est le moteur de la réussite entrepreneuriale.

Jean-François Draperi