Penser la gouvernance et ses nouveaux outils

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Gouvernance et ESS. En rapprochant ces deux termes lors de son 28 e colloque, qui s’est tenu le 9 octobre 2018, l’Addes (Association pour le développement des données sur l’économie sociale) s’est intéressée à l’une des spécificités des entreprises de l’ESS mise en exergue dans l’article 1 de la loi sur l’ESS de juillet 2014 : la gouvernance démocratique. À l’instar de ses colloques précédents,  celui-ci a témoigné de l’état des réflexions critiques du moment sur l’économie sociale. Au moins trois thématiques s’en sont dégagées.
En premier lieu, a été mise en lumière la remarquable créativité, depuis une vingtaine d’années, des organisations rassemblées sous le vocable d’économie sociale et solidaire. Charlotte Lion et Sandrine Rospabé (université Rennes-1) ont analysé la gouvernance de Coodémarrage, une coopérative d’activités et d’emploi – un statut d’entreprise de l’ESS créé il y a un peu plus de vingt ans. Nadine Richez-Battesti et Francesca Petrella (université d’Aix-Marseille), Delphine Vallade et Cyrille Ferraton (université de Montpellier) ont comparé les modes de gouvernance de trois entreprises de nature différente engagées dans le secteur culturel : une association, une société coopérative d’intérêt collectif et une société coopérative et participative.
Amélie Lefebvre-Chombart et Pierre Robert, de la ChairESS (université Lille-1), se sont intéressés à deux structures atypiques immergées dans l’économie numérique et fonctionnant « en communs ». Enfin, Meryem Akesbi et Sophie Boutillier (université Littoral-Côte d’opale) ont présenté le fonctionnement d’une association parapublique dunkerquoise, Entreprendre ensemble, articulant acteurs locaux privés et publics (Ces quatre présentations sont téléchargeables en ligne sur le site de l’Addes : http://addes.asso.fr/pec-events/28-e-colloque/).

Dans le dossier présenté ici, deux articles viennent compléter ce panorama des organisations en examinant la situation particulière de la gouvernance des coopératives agricoles et l’exemple singulier d’une coopérative de consommation. Moins que jamais l’ESS ne présente un aspect monolithique. Tout au contraire, son caractère ouvert à l’expérimentation, et donc pluraliste, s’affirme.

Penser l’hétérogénéité des organisations de l’ESS
La prolifération des formes d’organisation révèle sans doute le dynamisme de l’ESS et souligne l’intérêt qui lui est porté aujourd’hui, mais elle suscite aussi des interrogations relatives à l’hétérogénéité des organisations qui en relèvent. Pour réaliser un tableau plus complet de l’ESS, il serait sûrement nécessaire d’évoquer la métamorphose de la gouvernance des mutuelles de santé (Cf. O. Boned, R. Guerry et L. Pierron, « Les mutuelles de santé face à la réglementation européenne : une banalisation de l’identité mutualiste ? », Recma n° 349, 2018, p. 42-55), de prendre en compte le développement rapide et le renouvellement des pratiques des fondations (Cf. La Philanthropie. De l’individuel au collectif, Observatoire de la Fondation de France, 2016.) , et d’analyser l’émergence des entreprises sociales, qui sont toujours dépourvues d’une définition transposable au niveau statistique. L’hétérogénéité observée s’en trouverait à coup sûr amplifiée. Ainsi, les débats sur les définitions et les frontières de ce qui peut être rangé dans l’ESS sont loin d’être clos. Plutôt animés jusqu’à maintenant par les enjeux stratégiques des familles d’acteurs, ils deviennent de plus en plus une question scientifique complexe dont le caractère international est désormais évident, sans toujours parvenir à dépasser les interférences politiques et les différences culturelles (Cf. H. Noguès, « Le compte satellite de l’économie sociale, priorité de l’OCDE et de la Commission européenne », Recma n° 347, 2018, p. 8-10.).
Deuxième thématique dégagée par le colloque de l’Addes : la gouvernance des entreprises de l’ESS, parce qu’elle ne se réduit jamais totalement à une affaire économique, doit être contextualisée et mise en relation avec l’intervention des pouvoirs publics la concernant. Timothée Duverger (IEP-Bordeaux) a esquissé à grands traits un tableau historique des variations de cette relation au cours des deux derniers siècles. Il a fait apparaître la permanence (hormis la période de l’émergence) de la contradiction centrale que représente l’absence de neutralité des responsables politiques conjuguée à la volonté d’indépendance des promoteurs d’initiatives de l’ESS.

De nouveaux concepts et outils
En troisième lieu, enfin, dans un contexte où l’innovation sociale est à la mode, il est intéressant d’observer que celle-ci ne se limite pas à l’invention de nouveaux produits, services ou entreprises, mais qu’elle se manifeste aussi dans la construction de pratiques démocratiques renouvelées. La liste des concepts et des outils expérimentés, prenant la forme de pratiques ou d’applications numériques, constitue un inventaire à la Prévert impressionnant : la stigmergie (Terme emprunté à la biologie qui définit un mécanisme de coordination indirecte entre différents agents.), les relations de pair à pair, le challenge Digital Transformer, le chatbot (Logiciel programmé pour simuler une conversation en langage naturel) pour un dialogue virtuel, l’e-vote en ligne, une carte interactive des adhérents ou des communs régionaux en accès libre grâce à Wikipédia, un Loomio (Logiciel d’aide à la prise de décision) pour voter, un kanban (Méthode de diffusion de l’information destinée à éviter la saturation des flux en délivrant à chaque acteur l’information dont il a besoin au moment où il en a besoin) pour organiser les tâches, des outils interactifs tels que ceux conçus par Visimmo 3D, etc. Inutile de prolonger cette liste : l’ESS entre dans un nouveau monde avec l’engagement des jeunes générations.

Dans ces profondes transformations de la gouvernance, Philippe Eynaud voit poindre trois enjeux prospectifs majeurs pour les entreprises de l’ESS. Seront-elles en mesure d’inventer de nouveaux modèles de gouvernance multi-acteurs ? Cela implique une prise de risques au-delà des pratiques réciprocitaires entre des personnes partageant les mêmes profils. Sauront-elles imaginer des démarches participatives à vocation inclusive pour accueillir les personnes les plus exclues de toutes les formes de participation ? Il s’agit là d’une condition nécessaire à la poursuite du projet originel d’émancipation partagée. Enfin, pourront-elles prendre une part active dans la transformation de l’économie et du rapport au politique en s’engageant avec d’autres acteurs dans la construction de « communs » ? Ce dossier n’apporte évidemment pas de réponse univoque à toutes ces questions, mais il suggère déjà plusieurs angles de réflexion pertinents pour les acteurs du secteur et les chercheurs.

Henry Noguès