L’appel du PNUD-Algérie pour la rédaction d’une charte de l’ESS

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Le PNUD (programme des Nations-Unies pour le développement) a lancé un appel à projet de « rédaction d’une charte de l’ESS algérienne et d’un plaidoyer pour l’ESS en Algérie ». Le dernier délai fixé pour la soumission était le 18 novembre 2021.

Les objectifs du PNUD
Le PNUD a établi sept règles pour la rédaction de la charte de l’ESS algérienne :

- Rappeler les principes généraux de fonctionnement de l’ESS;
- Déterminer les conditions d’instauration de liens de confiance entre les acteurs impliqués dans les processus de production de biens ou de prestation de services ;
- Mettre en exergue l’importance des principes de transparence, de partage de l’information ainsi que de formation des membres dans une organisation de l’ESS ;
- Souligner les principes d’égalité et de liberté en ESS ;
- Indiquer la priorité donnée en ESS à l’utilité sociale, en précisant que les bénéfices réalisés servent d’abord à garantir l’autofinancement et à améliorer les conditions de vie des sociétaires qui assurent solidairement et d’une façon autonome le contrôle de la décision ;
- Souligner le principe de participation des organisations de l’ESS aux projets de développement de leur communauté ou territoire d’appartenance, et leur engagement à assurer l’épanouissement de leurs membres et de leurs familles.
- Définir les finalités socioéconomique et environnementale de l’ESS. Il est également exigé de rappeler dans cette charte les différentes familles de l’ESS, ses principales spécificités et ses modes spécifiques d’entreprendre.

L’objectif de cette charte est de définir les valeurs partagées de l’ESS en Algérie afin de constituer une base substantielle pour la construction d’un plaidoyer pour l’ESS en Algérie. Il s’agit en premier lieu d’établir une vision commune permettant un ancrage social, culturel et économique de l’ESS d’ici 2030. En second lieu, il s’agit de missions de l’ESS en matière de création d’emploi et d’activités locales, d’amélioration du niveau de vie des citoyens, de préservation du patrimoine matériel et immatériel en Algérie et de mise en valeur des produits de terroir. Enfin, la Charte devra affirmer les valeurs de solidarité et d’entraide, de gouvernance participative et de participation citoyenne, de démocratie, de liberté d’action, d’équité, de lutte contre l’exclusion sociale et les injustices, de développement local durable et d’intérêt social.
Le PNUD-Algérie exige que la charte algérienne de l’ESS et le plaidoyer pour une ESS en Algérie soient réalisés dans un cadre collaboratif impliquant une large concertation (acteurs publics, acteurs associatifs, entrepreneurs de l’ESS, etc.). La charte et le plaidoyer, en somme, doivent traduire les attentes de tous ces acteurs et incarner leur vision commune.

Questionnements sur la méthode
Ce projet qui suscite l’espoir de voir enfin l’ESS reconnue par les pouvoirs publics algériens, avec un cadre statutaire et des moyens adéquats, n’en pose pas moins question. En effet, il contient de nombreux éléments susceptibles de permettre aux pouvoirs publics algériens de contrôler encore plus l’ESS et d’épuiser son potentiel réel en la soumettant davantage aux logiques de cooptation:

- Le projet du PNUD parle d’un plaidoyer pour l’ESS en Algérie, alors que dans les autres pays de la région comme le Maroc, le projet de loi-cadre de l’ESS est déjà finalisé et attend juste son adoption.
- Lorsque dans un pays non démocratique tel que l’Algérie, on réunit l’administration, « le ministère et les agences » et les associations pour définir l’ESS, le risque est grand d’aboutir à une définition de l’ESS plus favorable à la logique administrative que représentative des réalités de terrain. Il aurait été plus pertinent de commencer par aider les acteurs de l’ESS à s’organiser et se structurer, afin de les mettre en position de bien négocier avec les pouvoirs publics. Le PNUD ne semble pas prendre en compte le fait que depuis le début des années 1990, le contrôle de la  société passe systématiquement par la mise en dépendance des acteurs sociaux.
- Le PNUD classe dans l’ESS tous les instruments de soutien des pouvoirs publics à la création d’entreprises. Or les études évaluatives ont montré l’échec de ces instruments, qui ont constitué des leviers de contrôle de la société civile par l’Etat, en promouvant une « classe entrepreneuriale clientéliste », plus encline à étendre le champ de l’économie marchande qu’à l’autonomisation socioéconomique des catégories fragiles. Il y a donc un risque réel de voir l’ESS totalement récupérée par les pouvoirs publics, qui en profiteront pour mettre la main sur le peu d’activités et d’acteurs qui échappent encore à leur contrôle.
- D’après notre enquête (10) , l’appel à projet a été officiellement lancé sur les réseaux sociaux  et professionnels le 14 novembre 2021 et a expiré cinq jours plus tard. Or, selon Mohand-Said, un responsable d’un consulting group qui n’a pas pu candidater à cause des délais, « la préparation d’un dossier sérieux et complet pour soumissionner nécessite au moins un mois de travail laborieux, avec toutes les consultations et concertations qu’il implique ». Nourddine, expert-consultant indépendant, affirme n’avoir pris connaissance de ce projet qu’à deux jours de l’expiration des délais de soumission. Amina, enseignante-chercheuse ayant déjà  participé au projet « PHC-Tassili maghreb » sur l’ESS en Algérie, n’a pas été informée de ce projet. Elle estime que « les gens qui gèrent  l’aspect opérationnel du PNUD (diffusion de projet, procédure pour postuler et autres) sont de véritables administrateurs qui n’ont rien à voir avec l’esprit associatif ». Il y a ici des raisons de penser que ce projet ne diffère pas des précédents projets lancés par des ONG et canalisés par le régime vers sa clientèle par cette méthode de rétention de l’information menant à la  sélectionadverse. D’ailleurs, comme signalé dans l’argumentatif, le PNUD a déjà lancé en 2018 le projet de consolidation de l’ESS en Algérie en partenariat avec le Ministère algérien du Travail. Plutôt que de privilégier les régions ayant, comme la région de Tizi-Ouzou, un potentiel d’activités et d’acteurs de l’ESS (artisanat, festivals, économie rurale, comités de village en autogestion et  associations dynamiques), ont été choisies comme wilayas pilotes pour ce projet des régions où l’ESS doit être créée ex nihilo : Oran, Khenchela, Bechar et Naama.
- Selon les orientations données par le PNUD-Algérie, ce projet nécessite l’implication de ceux qui maitrisent le domaine de l’ESS en Algérie et surtout de ceux qui ont une expérience dans la pratique et une maîtrise de la méthode de recherche-action-formation. Or, les très rares personnes dont les travaux attestent de leurs compétences n’ont été sollicitées ni par le PNUD ni par les  experts soumissionnaires.


En conclusion, le projet du PNUD de rédaction d’une charte de l’ESS algérienne et d’un plaidoyer pour l’ESS en Algérie est, dans l’absolu, utile et même nécessaire pour arriver enfin à  la reconnaissance institutionnelle de l’ESS en Algérie. Mais dans ce pays où l’Etat contrôle les acteurs de la société civile par le biais de la corruption et où l’ESS réelle (incarnée par les structures villageoises informelles) constitue le dernier carré de résistance contre la volonté de nivellement des différences pour mettre tout sous la bannière de « l’Etat marchand »,  il est à craindre que ce projet ne permette à l’Etat d’affaiblir encore plus l’ESS en substituant aux structures villageoises en autogestion solidaire, des structures associatives et coopératives de sa propre création.

Mohamed-Amokrane ZORELI
(Université de Bejaia)

(10) Notre enquête, réalisée en entretiens semi-directif avec un petit échantillon représentatif, s’est déroulée durant les deux jours précédant l’expiration du délai de soumission.