Expérimentations fouriéristes États-Unis, XIXe siècle

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Michel Lallement, Damien Rousselière (dir.), Cahiers Charles Fourier, n° 33, 2022, 167 pages.

Cette note de lecture est d’abord l’occasion de faire connaitre aux lecteurs de la RECMA la collection des Cahiers Charles Fourier, qui paraissent une fois par an depuis 1990. La thématique fouriériste y est abordée par des approches méthodologiques diverses et complémentaires des sciences sociales : histoire, sociologie, littérature, linguistique, esthétique etc. Les numéros peuvent être commandés sur le site www.charlesfourier.fr Après la publication en 2019, d’un numéro consacré à la diffusion de la pensée fouriériste au Japon, cette 33e édition met le focus sur les États-Unis avec un détour vers le Mexique, où ont été mises en œuvre, au XIXe siècle, diverses réalisations relevant du « fouriérisme pratiqué », selon la formule de Desroche. Bien que Fourier n’ait jamais posé le pied sur le sol américain, son inspiration, souvent mêlée à d’autres, a généré l’existence d’une trentaine de communautés, installées pour la majorité d’entre elles dans le Nord-Est et le Midwest des États-Unis. Dans leur introduction, Damien Rousselière et Michel Lallement inventorient les travaux historiques incontournables sur ces phalanstères américains (plus souvent appelés phalanxes dans la littérature anglo-saxonne) qu’il convient, selon eux, « de regarder comme des lieux ouverts et perméables à la mobilité », tant leurs contours sont « tremblés ». Ils soulignent également l’intérêt de dégager une dynamique d’ensemble à partir des monographies dont ont fait l’objet les plus importantes de ces communautés.

La première des trois parties de ce dossier évoque les figures d’Albert Brisbane, Alcander Longley et Plotin C. Rhodakanaty. Si ceux-ci ont en commun d’avoir été initiés au fouriérisme en Europe, leurs trajectoires diffèrent, de même que leurs méthodes de diffusion du fouriérisme. Après avoir été saint-simonien, le New-Yorkais A. Brisbane est devenu le plus important propagandiste hors Europe de la pensée fouriériste, qu’il a vulgarisé dans un ouvrage publié en 1840, Social destiny of man, tandis que A. Longley (présenté par Jeff Wells) a opéré une synthèse des inspirations sociétaires et icariennes dans ses écrits, comme dans les différentes communautés qu’il a bâti tout au long de sa vie, notamment dans le Missouri. L’article de Macarena Iribarne nous fait connaitre Plotin C. Rhodakanaty, immigrant grec qui débarqua au Mexique avec l’intention d’y fonder un familistère. S’il ne put réaliser ce projet, cet intellectuel influent n’en contribua pas moins à propager les théories fouriéristes au Mexique, et fut à l’origine de deux organisations ouvrières novatrices par leur action en faveur de l’émancipation des femmes.
La seconde partie du dossier s’intéresse à trois communautés dont l’inspiration n’est pas uniquement fouriériste, car leurs fondateurs ont pu puiser à d’autres sources théoriques, conférant ainsi à chacune des caractéristiques qui leur sont propres et qui sont également liées au territoire sur lesquels elles se sont implantées. Sans surprise, la question de l’organisation du travail et celle de la démocratie ont été au cœur de leur fonctionnement interne. Steven R. Pendery et Robert W. Preucel s’appuient sur des travaux archéologiques pour étudier Brook Farm, communauté fondée dans le Massachussets par le transcendentaliste Georges Ripley. Étienne Lamarche analyse les différents âges de la North American Phalanx et son progressif éloignement du modèle proposé par A. Brisbane en 1843. À travers sa présentation du phalanstère peu connu du Comté de Mahaska dans l’Iowa, D. Rousselière rappelle la nécessité de préserver les archives pour les travaux historiques futurs et la transmission de la mémoire.

A contrario des articles fondées sur les sources documentaires, les deux textes qui composent la troisième partie proposent une évocation plus subjective du fouriérisme - l’une mémorielle et l’autre esthétique - mais qui n’en est pas moins intéressante. Juli Kearns évoque sa propre perception d’un passé familial longtemps enfoui, lié aux communautés d’Alphadelphia et Liberal, tandis que la photographe Katherine Cunningham revient sur son exploration photographique des sites occupés par les communautés de l’Indiana et l’Ohio. Les plans de certains édifices et les photographies des traces encore visibles du « fouriérisme pratiqué » dans ces paysages, qui figurent dans le cahier central, constituent une source précieuse et trop rarement exploitée par les historiens.
Peu connues du monde francophone, la plupart de ces expériences communautaires menées à l’instigation d’Américains de naissance se sont déroulées dans les années 1830-1840. Au cours de la décennie suivante, quelques Français tentent l’aventure dans ces espaces américains où tout semble possible, comme le Bisontin Victor Considérant (évoqué fugacement dans ce dossier) qui, après avoir rencontré Brisbane, embarque une première fois en décembre 1852, au moment même où le couronnement de Napoléon III enterre définitivement la Seconde République. Deux ans plus tard, il établira le phalanx « Réunion » au Texas.

Ce numéro des Cahiers Fourier nous rappelle ainsi qu’avant d’être la terre d’élection du capitalisme, les États-Unis furent la terre promise des réalisateurs d’utopie, qui tentèrent de donner corps aux principes fondateurs de l’économie sociale, selon des interprétations parfois radicales, parfois personnelles, « dans un espace moins gangréné qu’en Europe par tous les travers de la civilisation ». Le mot de la fin revient à la photographe K. Cunningham, qui laisse entendre que son projet n’est pas seulement esthétique : « Dans le climat politique actuel, où l’on réalise de plus en plus que le modèle démocratique américain est menacé, je trouve important de faire revivre ces moments de promesses oubliés, d’en fouiller les vestiges ».

Patricia Toucas-Truyen
Docteur en histoire