Comprendre la dynamique territoriale de l’ESS à Grenoble (et ailleurs) : une conférence de la Recma et du RTES

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Quelles dynamiques à l’œuvre localement expliquent les évolutions de l’économie sociale et solidaire à Grenoble, depuis la fin du XIX e siècle jusqu’à aujourd’hui ? La conférence du 27 mai 2021 – « Transformations territoriales de l’ESS : spécificités grenobloises et dynamiques nationales » – organisée par la Recma en partenariat avec le Réseau des collectivités territoriales pour une économie solidaire (RTES) avait pour objectif, à partir d’une analyse socio-historique, d’éclairer les ressorts des transformations territoriales de l’ESS. Une belle manière de célébrer les 100 ans de la revue par une réflexion à la foisrétrospective et projective sur une dimension essentielle de l’ESS : son rapport au territoire.
Animée par Patricia Toucas-Truyen (Recma), la rencontre réunissait Danièle Demoustier, directrice de l’ouvrage L’ESS entre développement social et développement durable. L’exemple de la métropole grenobloise (1970-2020) (PUG, 2020), Simon Lambersens, auteur d’Aux origines de l’économie sociale et solidaire à Grenoble au XIX e siècle (Campus ouvert, 2017), et Anne-Laure Federici, du RTES, en tant que grand témoin.

Quatre modes d’engagement déterminants
Plutôt qu’un fil conducteur chronologique, les intervenants ont privilégié une analyse thématique des quatre modes d’engagement qui ont façonné l’économie sociale à Grenoble, offrant un regard original et inédit sur la question.
Le premier type d’engagement est celui des bienfaiteurs locaux qui s’investissent béné- volement dans des opérations telles que le plan d’extinction de la mendicité en Isère. En effet, l’économie sociale à Grenoble débute dans un contexte économique marqué par une pauvreté grandissante. Plusieurs actions sociales se formalisent alors dans des structures charitables, puis par la constitution, en 1803, de la Société de bienfaisance et d’entraide mutuelle des gantiers. Progressivement, d’autres initiatives mutualistes se multiplient au sein de différents corps de métiers. Ces deux formes d’entraide et de solidarité constituent la matrice du christianisme social, qui nourrit le dynamisme d’associations de solidarité et prépare l’institutionnalisation de l’action sociale localement.
Le deuxième mode d’engagement est celui de professionnels – juristes, médecins et ingénieurs – qui s’investissent dans l’action sanitaire locale. Ainsi, des juristes influents tels que M. Porte et P. Cuche, partisans du solidarisme républicain, favorisent l’essor de cette action sanitaire (via la mutualité) et sociale (les associations) et plaident pour leur reconnaissance nationale. Des médecins s’engagent dans l’action sociale et solidaire de proximité aux côtés d’organisations et d’associations. À titre d’exemple, une pensée hygiéniste se développe, au sein de l’Association dauphinoise d’hygiène morale, pour défendre l’« ordre moral » dans la lutte bien précise contre la tuberculose, les maladies vénériennes et la prostitution. Des médecins seront plus tard actifs dans la création du Planning familial puis dans l’intervention locale de Médecins du monde. Enfin, des ingénieurs « sociaux » influencés par les thèses de Frédéric Le Play se mobilisent, tel Émile Romanet (plus connu comme promoteur des allocations familiales), dans la création de la Ruche populaire dans le quartier Saint-Bruno ; aujourd’hui, on les retrouve dans l’insertion comme dans la défense de l’environnement et la transition écologique.
Le troisième mode d’engagement façonnant l’économie sociale s’incarne dans la coopération de production, qui émerge dans les milieux anarcho-syndicalistes (notamment italiens) du BTP avant la Première Guerre mondiale, puis s’éteint avant de réapparaître dans les années 1970-1980. Le renouveau s’opère par étapes : dans les quartiers populaires, d’abord, des coopératives sont créées par des travailleurs sociaux dans un cadre d’éducation populaire ; puis apparaissent les coopératives autogestionnaires post-soixante-huitardes ; enfin, des coopératives s’épanouissent autour de projets professionnels (la spécificité grenobloise s’observe dans le lien entre l’industrie et la recherche). La dernière étape est caractérisée par la création des coopératives de proximité, en lien avec des formes d’alimentation durable. C’est en effet plutôt sous la forme d’associations, de Scop puis de Scic que la distribution alimentaire se renouvelle.
Le quatrième mode d’engagement déterminant est celui de la municipalité : la dynamique mutualiste, associative et plus récemment coopérative entre en résonance avec l’interventionnisme social de certains maires, et ceci dès la fin du XIX e siècle. À titre d’exemples, les intervenants rappellent le rôle de Charles Renauldon dans la rédaction des premiers statuts de la Mutuelle des gantiers, etcelui de Frédéric Taulier, qui favorise l’alimen- tation ouvrière par la création d’un « restaurant sociétaire ». Ensuite, entre les deux guerres, Paul Mistral lutte contre la dégradation des logements en privilégiant l’habitat bon marché. Enfin, Hubert Dubedout s’appuie largement sur le militantisme associatif pour promouvoir la participation des habitants. Si les maires se sont succédé sans se ressembler, l’action de la Ville, puis de la Métropole, reste forte pour accompagner, voire encadrer, l’ESS locale via la participation citoyenne, le dynamisme des associations environnementales et la promotion de l’innovation liée à la transition écologique.

Un cadre d’analyse des innovations au sein de l’ESS
Après avoir rappelé le rôle du RTES dans les dynamiques de développement de l’ESS à l’échelle des collectivités territoriales, Anne-Laure Federici, en tant que grand témoin, a souligné la qualité de ces réflexions dont peuvent s’emparer les élus locaux. Pour elle, les analyses présentées permettent de comprendre clairement les dynamiques d’innovations de l’ESS à l’échelle des collectivités territoriales aujourd’hui. Elles éclairent non seulement le passé mais aussi l’avenir.
Parallèlement, les intervenants ont été  nombreux à s’exprimer par le chat, rappelant par exemple le rôle capital des femmes dans l’émergence d’initiatives sociales engagées au sein d’associations, de mutuelles ou de coopératives et autres mouvements d’autonomisation. Les échanges ont également permis de souligner que, globalement, l’ESS grenobloise a suivi les mêmes évolutions qu’ailleurs, avec la concentration des mutuelles, l’institutionnalisation de l’action sociale et de l’éducation populaire, la disparition de coopératives de consommation locales, l’émergence de nouvelles formes coopératives. Toutefois, elle reste marquée par ses spécificités : la diversité des groupes sociaux qui la portent ainsi que la diversité des courants idéologiques qui l’animent – ce qui explique sans doute que, dans les périodes de mutation, surgissent des montages assez spécifiques et originaux.
En définitive, la rencontre a montré à quel point la compréhension des dynamiques locales de l’ESS est essentielle pour comprendre des évolutions plus amples au niveau national. La recherche a encore beaucoup à dire et à apporter.

Kouassi N’Goran et Luciana Ribeiro