Actualidad y perspectiva de la economía social y solidaria en México

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Carola Conde Bonfil (coord.) ed. Universidad Autonóma Metropolitana unidad Xochimilco, 2022.

Première production collective du CIRIEC Mexique, ce volume aspire à synthétiser l’état et les débats actuels autour de l’économie sociale et solidaire (ESS) au Mexique. Outre l’introduction et la  conclusion rédigées par l’économiste Carola Conde Bonfil, coordinatrice de l’ouvrage, sept chapitres composent un volume qui construit sa cohérence grâce à quelques grands fils transversaux. Quatre contributions majeures se dégagent ainsi de la lecture.
La première provient de la perspective interdisciplinaire. La réalité mexicaine de l’ESS y est abordée depuis des perspectives aussi diverses que complémentaires : économie, sociologie, économie féministe pour la vie, droit, politiques publiques. Cette variété permet de repositionner l’ESS dans le cadre de mobilisations politiques plus générales : droits des femmes, changement social, luttes paysannes et indigènes, mais aussi évaluation des politiques publiques et structures de gouvernance de l’ESS. Le croisement des perspectives ouvre également la voie à des perspectives critiques innovantes. Ainsi voit-on en particulier le chapitre d’Erika Piña Romero et al. sur l’« économie sociale et solidaire et féministe pour la vie » aller au-delà de la critique convenue sur l’économie capitaliste pour reprocher à l’ESS son insuffisante attention aux inégalités sociales entre hommes et femmes, exacerbées ici par la pandémie. Le chapitre s’appuie sur les données fournies par Alicia Bárcenas, secrétaire exécutive de la CEPAL (Comisión Económica para América latina y el Caribe), qui rappelle que les taux élevés d’informalité, le manque de protection et les limitations de circulation empêchent l’accès des femmes aux emplois garantis et socialement encadrés. 54,3 % des femmes latino-américaines et caribéennes seraient ainsi employées dans des secteurs précaires, avec des salaires très bas et des emplois souvent externalisés. N’intégrant pas ou peu l’économie formelle, ces femmes n’ont accès ni à la sécurité de l’emploi ni à la protection sociale. 36 % de l’emploi féminin relève du travail indépendant et domestique, soit des activités professionnelles peu rémunérées et précaires. L’on observera que 93 % des travailleurs du secteur domestique rémunéré (entre 11 et 18 millions de personnes en Amérique latine et dans les Caraïbes) sont des femmes. Cette situation est aggravée par la pandémie : si dans les ménages les femmes consacraient avant la crise entre 22 et 42 heures par semaine aux travaux domestiques et aux activités de soins non rémunérées, cette surcharge a augmenté avec la pandémie, approfondissant ainsi les inégalités structurelles entre hommes et femmes.
Ces perspectives viennent nourrir, deuxième apport, la double intention, scientifique et opérationnelle, de l’ouvrage. Le chapitre d’Omar Barragán Fernández sur l’évolution des politiques publiques resitue les politiques fédérales d’ESS au sein du tournant vers le nouveau management public. Le chapitre conclusif de Carola Conde Bonfil débouche  sur des propositions à partir d’une approche critique de la politique publique en vigueur. « Au Mexique, indique l’auteure, il n’y a pas véritablement eu de politique publique de soutien à l’économie sociale, sinon un ensemble de mesures non alignées – et parfois contradictoires – coexistant avec de multiples programmes et instances dispersées au sein de l’ensemble de l’appareil gouvernemental, étant donné que d’autres unités et entités offrent des soutiens à certaines organisations considérées par la loi et par l’INAES comme intégrant l’ESS » (p. 214, notre traduction). Se pose ainsi la question de l’adéquation/inadéquation du périmètre de l’ESS – l’auteure a, dans un autre texte (Conde Bonfil, 2016), repéré une quarantaine d’acceptions de l’ESS et de l’entreprise sociale au Mexique – et le découpage sectoriel qu’opèrent les politiques publiques.
Le troisième apport réside précisément dans le débat terminologique autour de la définition de l’ESS. Dans le chapitre 3, Tatiana Vanessa González Rivera critique ainsi l’assimilation dans le droit mexicain de la coopérative au droit commercial, alors que cette figure entrepreneuriale relève du « secteur social de l’économie ». Le chapitre 1 de Roberto Cañedo Villarreal et al. sur l’« écosystème de l’ESS » rappelle que les conceptions européennes de l’ESS doivent être révisées au vu des réalités mexicaines et latino-américaines, soit des sociétés où les inégalités sont exacerbées et polarisées. Sans remettre évidemment en question ce constat, notons au passage que  la question du périmètre fait également l’objet d’un débat continu en Europe entre les approches par le statut ou par l’utilité sociale. À l’échelle latino-américaine, on remarquera que l’ouvrage fait largement référence aux débats entre ESS, économie populaire et économie informelle, en se fondant notamment sur les travaux de l’économiste argentin José Luis Coraggio et du philosophe chilien Luis Razeto.
Le quatrième apport réside dans la notion d’écosystème d’ESS (Ecoess) défini par le chapitre 1 comme un espace d’interaction (physique et virtuel) entre les entreprises de l’ESS, les organismes et  relations qui les soutiennent. La notion fait écho à celle d’inter-coopération, particulièrement développée au Mexique dans quelques approches emblématiques comme l’expérience coopérative Tosepan Titataniske à Cuetzalan del Progreso (État de Puebla), à laquelle il est fait référence au chapitre 4. L’Ecoess serait ainsi composé de deux dimensions. La première, endogène, concerne la reconnaissance de la localisation géo-territoriale des expériences d’ESS : conditions de proximité, reconstitution du tissu social, emphase sur les relations humaines. La seconde dimension, exogène,  est liée à toutes sortes d’activités qui se déroulent dans l’environnement territorial, qu’il soit municipal, étatique, national ou international. Cette distinction entend faciliter la compréhension théorique de l’Ecoess, les deux dimensions fonctionnant dans un va-et-vient cyclique et dynamique.

Comme toute recherche stimulante, l’ouvrage soulève également un certain nombre de questions.
La première concerne la dimension multiscalaire des politiques publiques de l’ESS. Centré sur les politiques gouvernementales fédérales, l’ouvrage ne se réfère que peu si ce n’est, précisément, dans  ses recommandations, à l’engagement des autres échelles territoriales (États et municipalités) en matière de soutien à l’ESS. De fait, cette absence relative s’explique en grande partie par la nature du fédéralisme mexicain, qui accorderait un rôle secondaire aux échelons infra-fédéraux sur cet aspect. La politique des Nodos de impulso a la economia social y solidaria (NODESS), en associant acteurs de l’ESS, centres de recherches et collectivités, irait dans le sens de la logique de constitution de pôles territoriaux d’ESS, même si leur nombre reste pour l’instant relativement contenu.

La deuxième interrogation concerne les doctrines et courants de pensée qui sous-tendent l’histoire et l’actualité de l’ESS au Mexique. Les auteurs mettent bien en évidence les connexions contemporaines entre ESS et « nouveaux » mouvements sociaux économiques : l’économie féministe pour la vie, les mobilisations environnementales, les mouvements indigénistes, les mobilisations paysannes, etc. On peut néanmoins s’interroger sur « ce qui reste » des sources historiques de l’ESS qui, ici comme ailleurs, relève de la combinaison de plusieurs matrices : socialisme utopique,  mouvement ouvrier, libéralisme, christianisme social (Rojas Herrera, 2014). Cette dernière source interroge particulièrement dans le contexte mexicain, où l’importance sociale du catholicisme et des autres Églises chrétiennes compose avec un régime strict de séparation des Églises et de l’État. Dans le chapitre sur les coopératives de logement, María Guadalupe Domínguez Martínez souligne par exemple le rôle de la doctrine sociale de l’Église et celui d’un prêtre aux origines de l’expérience emblématique de la coopérative de Palo Alto à México. Située dans l’un des plus grands pôles de croissance immobilière de la ville, la coopérative se heurte à de très grands intérêts économiques. Le chapitre restitue les difficultés auxquelles les promoteurs de cette initiative ont dû faire face pour survivre pendant plus de cinquante ans en tant que modèle cherchant à garantir le droit au logement des classes populaires. Outre l’impulsion à la création de coopératives, Palo Alto souligne surtout l’importance de former des coopérateurs, soit des personnes conscientes et impliquées dans un projet social de transformation fondé sur des valeurs solidaires et coopératives. Le devenir contemporain de ces sources anciennes de l’ESS appellerait à une élucidation.

Troisièmement, la question récurrente du périmètre et de la définition de l’ESS induit, dans le contexte mexicain, un questionnement sur l’inclusion de formes spécifiques de coopération et de gestion collective de la propriété sociale notamment en milieu rural, voire de mécanismes de décision et de gouvernement propres aux communautés rurales et/ou indigènes. Cette interrogation, de fait, traverse l’ensemble des contributions. Le chapitre « Pratiques solidaires et changement social » souligne cet aspect en étendant les mécanismes de solidarité jusqu’aux systèmes civico-rituels d’organisation des fêtes (mayordomías), mais aussi aux mouvements de défense du territoire (sont citées les expériences emblématiques de Cherán dans le Michoacan et de Cuetzalan à Puebla). Le chapitre 3 consacré aux approches juridiques évoque le tequio (travail communautaire), le calpulli (structure clanique pré-colombienne) ou encore les « pueblos hospitales » fondés par l’évêque Vasco de  Quiroga au XVIe siècle dans le Michoacán (p. 73), comme antécédents historiques potentiels du coopérativisme. Le chapitre sur les coopératives de logement se réfère au « buen vivir » ; le chapitre 1 fait référence aux coopératives indigènes en se basant non seulement sur leurs fonctions de services, mais également sur les mécanismes de prise de décision (conseils des anciens), et y voit un lien avec les mécanismes  et fonctions del’ESS.
Loin d’être secondaire, l’interrogation porte sur l’interconnexion potentielle entre ces mécanismes coutumiers de coopération et de  solidarité et ce que l’on qualifie aujourd’huid’ESS. Bon nombre d’auteurs ont en effet souligné les relations paradoxales qu’entretenaient ces deux formes d’interactions. Dans son enquête sur la prise en compte des us et coutumes lors de la réforme électorale dans l’État de Oaxaca, David Recondo (2009) indique que les pratiques assembléistes des communautés renferment effectivement une  part de potentialité démocratique, en luttant contre le caciquisme et la confiscation du pouvoir par une minorité. Il souligne dans le même temps la relation paradoxale entre les formes de solidarité obligatoires (comme le  système des cargos) et la solidarité volontaire et sectorielle que peut représenter la coopérative, surtout dans les cas où elle n’inclurait pas l’ensemble de la communauté. Dans un tout autre contexte, la recherche d’Anne-Marie Merrien (2021) sur la fonction identitaire  des coopératives inuit du Nunavik québécois a également montré que, si les coopératives représentaient d’une part une forme de continuité vis-à-vis des valeurs coutumières des communautés inuit (égalitarisme, partage, réciprocité, autonomie), elles étaient également vectrices de changement en permettant une transition vers une économie monétaire et marchande, transition que  la coopérative a rendue supportable et contrôlée par les communautés. La question avait fait, en contexte africain et dans les années 1960-1970, l’objet d’un débat entre Roger Bastide et Henri Desroche. Si pour Bastide, le régime coopératif et le régime communautaire étaient à l’opposé l’un de l’autre et que la coopérative représentait une importation européocentrique supplémentaire, pour Desroche en revanche, le mouvement coopératif représentait un mode d’organisation permettant de préserver les valeurs communautaires tout en permettant le développement (Desroche, 1976 : p. 267-268). Sur ce plan également, la nuance doit être de mise, tant les relations entre coopérativisme et antécédents coutumiers sont plurielles, sans parler des instrumentalisations possibles de ces mécanismes.  Le recours par l’administration publique à certaines formes de coopération coutumière – comme le tequio – pourrait aussi bien être interprété comme un moyen d’accéder à une main d’œuvre gratuite pour effectuer des travaux publics. A contrario, le recours à ces mécanismes est aussi un moyen de réactiver des formes horizontales de solidarité et de coopération non marchandes. Le débat, d’ailleurs et toutes proportions gardées, rappelle la revalorisation actuelle de l’auzolan (« travail entre voisins », corvées collectives coutumières), en Pays Basque.

Enfin, l’ouvrage pointe une fonction décisive du coopérativisme dans le contexte mexicain, soit l’accès à un emploi formel. En tant qu’entreprises collectives, les coopératives constituent autant d’opportunités pour un accès stabilisé, collectif et solidaire, à un emploi. De façon significative, la transition de l’économie informelle à l’économie formelle est évoquée en 2002 dans la Recommandation (n°193) sur la promotion des coopératives de l’Organisation Internationale du Travail (OIT), qui indique  que « les gouvernements devraient promouvoir le rôle important que jouent lescoopératives dans la transformation des activités de survie souvent marginales (parfois appelées “économie informelle”) en un travail protégé par la loi et pleinement intégré dans le courant dominant de la vie économique (art. 9) » (cité par Roelants, 2015, p. 12). Au Mexique, et selon un rapport du Centre d’études Espinosa Yglesias (CEEY) en 2019, la probabilité d’avoir un premier emploi  formel si le père relève du secteur informel se réduit de 40 %. Cette probabilité diminue de 36 % pour les habitants du sud du pays (Cuecuech, 2019). En résulterait une faible mobilité sociale. Dans un tel contexte, les coopératives représentent un instrument significatif permettant d’intégrer le secteur formel de l’économie du pays.
Au final, l’ouvrage donne une nouvelle visibilité aux possibilités et aux défis d’une ESS qui, loin d’être marginale, est fortement présente dans le pays, avec son lot d’échecs et de réussites, mais une intention transformatrice qui reste intacte. En ce sens, ce livre vient à point nommé et constitue en soi un appel à la comparaison.
Note : cette recension se fonde sur les échanges tenus lors du séminaire CEMCA-CIDE consacré le 8 novembre 2022 au CIDE, Mexico, à la présentation de l’ouvrage en présence de la coordinatrice du volume Carola Conde Bonfil.

Ivette Ayvar
CIDE

Xabier Itçaina
CNRS, CEMCA, Centre Emile Durkheim, Sciences Po Bordeaux