Zéro chômeur : dix territoires relèvent le défi

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Claire Hédon, Didier Goubert et Daniel Le Guillou, ATD-Quart Monde/Éd. de l’Atelier, 2019, 320 pages.

Le chômage est un fléau de longue date.
Cet ouvrage l’analyse au prisme du projet « Territoires zéro chômeur » impulsé par l’Association ATD-Quart Monde au début des années 2010. Il y avait 1 million de chômeurs en France au milieu des années 1970, ils sont 2 400 000 aujourd’hui ; le travail à temps partiel et la précarité ont également augmenté de façon spectaculaire. En dépit d’un net recul durant les années 1997 à 2002, le chômage continue de frapper durement notre pays, et cette situation s’est encore aggravée depuis la crise de 2007. Les progrès réalisés depuis deux ans restent très limités puisque le taux de non-emploi est aujourd’hui de 27,2 %, un tout petit peu moins qu’en Allemagne et en Grande-Bretagne. Ce chômage coûte très cher à la collectivité, et la relance par les solutions keynésiennes, suivies à partir des années 1930, ne fonctionne plus. D’autres solutions ont été expérimentées – stimulation de la croissance, baisse des charges patronales, réduction du temps de travail, flexibilité – mais sans grands résultats. Enfin, le chômage entraîne trop souvent une exclusion sociale qui frappe d’abord les séniors, les femmes et les jeunes, et suscite pour ces personnes de graves difficultés sur les plans physique et psychique.

À partir de ces constats, le projet « Territoires zéro chômeur » a été impulsé au début des années 2010 par l’Association ATD-Quart Monde, pionnière dans le domaine de l’insertion par l’activité économique, puis soutenu par le député socialiste Laurent Grandguillaume, avant d’obtenir l’appui de tous les partis politiques. En 2016, est votée à l’unanimité une loi destinée à être expérimentée sur dix territoires : cinq territoires ruraux, un territoire urbain comprenant un quartier prioritaire de la ville (QPV) et quatre espaces urbains composés uniquement de QPV.

Des entreprises à but d’emploi
Le projet repose sur trois notions mises en œuvre par un comité de pilotage dans lequel siègent tous les acteurs politiques et sociaux du territoire : partis, syndicats, associations, entreprises, chambres de commerce, municipalités, etc. Tout d’abord, sont créées des entreprises à but d’emploi (EBE), qui proposent un contrat à durée indéterminé (CDI) à temps plein choisi à toutes les personnes privées durablement d’emploi : un CDI et non un contrat à durée déterminée (CDD) parce que cette solution offre la sécurité.
Ces EBE n’entreront jamais en concurrence avec les entreprises déjà existantes sur le territoire concerné, mais proposeront des activités en complément ou en sous-traitance de celles-ci : nettoyage de chantiers, tri de métaux pour une entreprise de recyclage, etc. Les salariés pourront également développer le commerce ambulant en partenariat avec des commerces locaux, réaliser de petits travaux
administratifs, nettoyer les chemins ou les forêts d’une commune, etc. Cette relance de l’activité économique apportera du dynamisme au territoire et sera bénéfique à tous. L’EBE reconstruit également un lien social dégradé. Aux antipodes de ceux pour qui les chômeurs sont des « fainéants », des « assistés », etc, ce livre montre, à travers des témoignages émouvants, que les personnes privées d’emploi veulent en retrouver un. Elles reconquièrent ainsi leur dignité et sortent de l’exclusion ; le regard qu’elles portent sur elles-mêmes et que les autres portent sur elles se modifie. Ainsi, nombre de chômeurs estiment que la mise en place d’un revenu universel de base serait une humiliation. Comme le dit l’un d’eux, « les gens, ils ne veulent pas avoir de l’argent, ils veulent travailler ».
Ce projet est financé par deux sources. Tout d’abord, par les prestations sociales destinées aux personnes privées d’emploi : revenu de solidarité active et allocation de solidarité spécifique. Ensuite, par les recettes liées aux reprises d’emploi – cotisations sociales et impôts – ainsi que par le chiffre d’affaires réalisé par les EBE. Un chômeur « coûte » aujourd’hui 18 000 euros annuels à la collec- tivité. Ne vaut-il pas mieux créer de nouveaux emplois avec une somme équivalente, opération qui est donc financièrement neutre pour l’État ?

Un projet proche de celui de l’ESS
Le programme « Territoires zéro chômeur », qui repose d’abord sur la confiance, est également proche par ses principes et sa mise en œuvre de ceux défendus aujourd’hui par l’économie sociale et solidaire (ESS). Il est peu fait référence à cette dernière dans ce livre, mais comment ne pas relever cette proximité ? Deux EBE ont d’ailleurs été créées en sociétés coopératives d’intérêt collectif (Scic). Le projet rejoint le monde de l’ESS pour trois raisons. Tout d’abord, il part du territoire, donc « d’en bas », et non de Paris. En d’autres termes, il n’attend pas tout de l’État centralisateur, même si ce dernier lui apporte son appui initial. Depuis le XIX e siècle, les mouvements coopérateurs et mutualistes ont privilégié l’approche territoriale en se méfiant de toute démarche centralisatrice. Ensuite, la réussite du projet repose sur la prise en main par les chômeurs eux-mêmes de leurs propres affaires. Aucun n’est contraint d’intégrer une EBE : il le fait dans le cadre d’une démarche libre et volontaire. Or, ces deux notions définissent depuis toujours l’adhésion à une coopérative ou à une mutuelle. Enfin, il cherche à répondre à des besoins nouveaux, souvent écologiques, et non rentables, du moins à court terme : cette démarche est, là encore, celle de l’ESS aujourd’hui.

Il est trop tôt pour tirer un bilan définitif de cette expérience, deux ans après ses débuts, mais les premiers résultats semblent très positifs. Prévue au départ pour cinq années, elle doit se prolonger au-delà, en tout cas pour ces dix premiers territoires. À l’heure où, avec le mouvement des Gilets jaunes, notre pays connaît une crise sociale grave, mais dans laquelle le chômage n’est jamais évoqué, ce
livre donne quelques raisons d’espérer.

Michel Dreyfus