Une « économie autrement » plus offensive pour le Riuess

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Le Réseau interuniversitaire de l’économie sociale et solidaire (Riuess) organisait à l’Université de Marne-la-Vallée les 4 et 5 février 2010 un séminaire en préparation de ses ambitieuses et déjà passionnantes Xe rencontres, programmées les 2 et 4 juin au Luxembourg autour du thème « élaborer un corpus théorique de l’économie sociale et solidaire pour un autre modèle de société ». A l’Université de Paris-Est, qui inaugurait ces mêmes jours une chaire économie sociale et solidaire (ESS), quelques uns des principaux « théoriciens » du secteur ont ainsi pu échanger leurs points de vue sous le regard critique de personnalités « périphériques ». Une réussite.

Une méthode originale

David Hiez (Université du Luxembourg) et Eric Lavillunière (Institut européen de l’économie solidaire) ont ouvert ces journées en présentant l’hypothèse de travail : il existe une possibilité de construction théorique, de conceptualisation commune qui rassemble les pratiques « d’une économie autrement », la base du rassemblement étant les pratiques, la locution « économie sociale et solidaire » n’étant conservée que dans la mesure où elle reste la plus rassembleuse en France.

Piedro Cunca Bocayuva (Université fédérale de Rio de Janeiro), Suzanne Elsen (Université des Sciences appliquées de Munich), Jacques Defourny (Emes), Marie Bouchard (Université du Québec), Jean-Louis Laville (Cnam) et Jean-François Draperi avaient été invités à préparer un court texte exposant leurs conceptions et filiations, sur les trois dimensions du sujet : éthique, économique et politique. Sous la direction de deux animateurs, les demi-journées furent consacrées au dialogue, sans prise de parole ex cathedra, rythmé par les analyses de Bruno Théret (économiste, CNRS), Patrick Viveret, Xavier Ricard (CCFD) et Philippe Corcuff (Fondation Copernic).

L’éthique est une pratique… politique

La première matinée était consacrée à l’éthique. Josette Combes (consultante, Toulouse le Mirail) et Eric Dacheux (CNRS) ont d’emblée introduit le concept en faisant référence à la dimension d’émancipation et de résistance de l’ESS face l’économie capitaliste : « poser la question de l’éthique est elle une manière de ne pas poser celle du système ? ». En rappelant que l’invitation réunissait autour des pratiques d’ESS, J.-F. Draperi et J.-L. Laville ont souligné l’importance de considérer les acteurs comme des contributeurs décisifs de la recherche et non comme des sujets d’études. Ce dernier a évoqué le processus actuel d’« économisation de l’éthique » à l’œuvre dans les démarches RSE (responsabilité sociale de l’entreprise) alors que Piedro Cunca a insisté sur la centralité de la notion de confiance qui traverse toutes les pratiques de l’ESS.

Ainsi posée, la question de l’éthique renvoyait inévitablement à la dimension politique de l’ESS et tout d’abord à sa position ambivalente par rapport aux pouvoirs publics. Piedro Cunca a rappelé combien en Amérique latine notamment la « reconnaissance du droit de résistance » constitue un pré-requis de l’ESS. Au Québec, a expliqué Marie Bouchard, l’ESS est passé d’une position contestataire, militante très forte, à une logique de partenariat avec la puissance publique, mais d’où la dimension alternative, « utopique » reste centrale : « Si l’ESS ne se voit plus comme le levier pour socialiser l’ensemble de l’économie, elle est un acteur économique incontournable qui continue à véhiculer une utopie pragmatique. »

Pour Philippe Corcuff, l’éthique est une investigation existentielle, une praxis (« il y a plus d’éthique dans un western que dans un traité de Kant »). Partant, il a proposé de réinterroger les rapports de l’individu (chasse gardée de la droite) et du collectif (valeur de gauche) tels qu’ils sont pensés depuis la première guerre mondiale et d’en revenir à un pragmatisme philosophique, rappelant au passage, avec Rosa Luxembourg, que l’on peut être pragmatique et radical.

Ne pas confondre capitalisme et marché

Selon Patrick Viveret, l’ESS souffre d’une double réduction qui affaiblit son « énergie transformatrice » : réduction économiste d’une part, sur la notion de tiers secteur d’autre part. Cette double réduction limite considérablement les possibilités de jonction avec d’autres mouvements sociaux transformateurs, comme les syndicats. Alors que Denis Stokkink (président de Pour la solidarité) a déploré la sous représentation des salariés de l’ESS dans leurs entreprises, Marie Bouchard a rappelé que les deux grandes centrales syndicales québécoises ont créé des fonds d’investissement qui interviennent dans la création et la reprise d’entreprises en difficulté.

Ce fut l’occasion pour Bruno Théret de relever que la Sécurité sociale n’est jamais considérée comme partie prenante de l’ESS alors qu’il s’agit d’une institutionnalisation de pratiques solidaires. Il a souligné combien la solidarité pure est utilisée par le libéralisme par refus de l’égalité (gestion des pauvres). L’égalité et la fraternité s’avèrent donc tout aussi nécessaires. Cette articulation des principes permet ainsi de réhabiliter un marché dominé par le principe de solidarité.

Les participants furent unanimes sur l’importance de distinguer capitalisme et marché, couple qui ne laisse comme alternative que l’économie administrée. Si la modélisation mathématique permet d’assoir « scientifiquement » le marché capitaliste, quelle référence théorique l’ESS peut-elle mobiliser ?

Question restée sans réponse mais qui en appelle une autre pour l’économiste du CNRS : est-il pertinent de vouloir construire l’ESS comme une discipline académique alors qu’il s’agit avant tout d’un mouvement politique ? Accepter de vivre dans les tensions distingue radicalement l’ESS de l’économie telle qu’elle est enseignée dans les universités car l’objet de cette discipline est justement de réduire les tensions. Cette gestion des tensions serait donc le cœur de la spécificité universitaire de l’ESS. Tension ou incertitude qui, comme le rappelle Suzanne Elsen, est très mal appréhendée par les responsables politiques.

Une quête démocratique

La belle formule de Jacques Defourny mit tout le monde d’accord : « les projets d’économie solidaire et d’économie sociale, sont différents, comme le sont les voies d’un même sommet ». Mais une montagne a-t-elle ou doit-elle avoir un sens politique ? Le modèle de démocratie représentative est il encore pertinent pour l’ESS ? Est-elle en mesure d’avoir une incidence sur les politiques publiques ou en est-elle un instrument ? Telles furent quelques unes des questions introductives posées par Danièle Demoustier et réappropriées par chacun lors de la dernière journée. Ainsi la reformulation de Philippe Corcuff : « l’ESS est elle une nouvelle composante de la gouvernance du capitalisme ou est elle un mouvement d’émancipation qui pèse sur les pouvoirs publics ? » Choix stratégique qui renvoie à la capacité de l’ESS à faire mouvement social et qui se pose plus largement à tout le mouvement altermondialiste.

Pour Pedro Cunca, l’ESS porte bien l’idée de démocratie sociale et politique. En pleine crise de la centralité du travail, « il faut penser le processus de radicalisation démocratique ». Alors que l’hypothèse d’un revirement autoritaire du capitalisme a été sérieusement prise en considération, Bruno Théret s’est étonné de l’absence de questionnement de l’ESS sur le capitalisme, caractérisé par une double aliénation : pression sur les salaires, pression par la dette des ménages. Il invite donc à travailler plus avant les questions du crédit et de la consommation et les monnaies sociales. Selon Suzanne, ces dernières sont en fort développement en Allemagne et Xavier Ricard a rappelé le rôle central de la monnaie, de l’accès au crédit, notamment pour la paysannerie du Sud.

Travail, territorialité, valeur

Michel Abhervé (chaire ESS de Marne-la-Vallée) fit observer que l’assemblée s’était peu posé la question du rapport de l’ESS avec les entreprises de capitaux et, pour reprendre les termes du débat en France aujourd’hui, avec l’entrepreneuriat social. Avec Petrella Francesca (Université de la Méditerranée, LEST), il a rappelé la nécessité de repenser le rapport des entreprises de l’ESS avec leurs territoires et leurs collectivités, afin de poser autrement l’articulation intérêt collectif-intérêt général. « Si alternative au capitalisme il doit y avoir, elle doit être territorialisée » a résumé Xavier Ricard.

De ce point de vue, il est apparu nécessaire de réinvestir la notion de propriété sous un angle juridique : propriété d’usage, collectivité d'usage, propriété indivise... Patrick Gianfaldoni (Université d’Avignon, LBNC) a suggéré de revenir sur la théorie de la valeur utilité et de la valeur travail, en souhaitant introduire une entré psychosociologique (rapport au « désir créateur ») à ces questionnements sur l’ESS.

D’autres pistes, parallèles ou emboitées (ESS-développement durable ; réciprocité-solidarité ; ouverture internationale, de l'économie informelle à l'entrepreneuriat social…), ont été évoquées par Laurent Fraisse et Jérome Blanc qui eurent la lourde tâche de conclure et de synthétiser à chaud ce bouillonnement. Rendez-vous début juin au Luxembourg pour connaître la suite.

Jordane Legleye