Solidarités. Les oeuvres de Charles Gide, volume XI

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Textes présentés et annotés par Patrice Devillers, Comité pour l’édition des œuvres de Charles Gide, Paris, L’Harmattan, 2010, 273 p.

Ce volume marque l’achèvement de la publication des œuvres de Charles Gide. Voilà une réalisation remarquable dont les divers promoteurs intellectuels, financiers et éditoriaux peuvent tirer une légitime fierté. Elle représente une précieuse contribution à une « histoire des doctrines économiques depuis les physiocrates jusqu’à nos jours » pour reprendre le titre du célèbre Gide et Rist dans lequel s’instruisait l’étudiant en économie à la Faculté de droit de Bordeaux au début des années 1950.

Le dernier volume dans l’ordre de la programmation, le XIIe est paru en 2008, soit avant celui-ci. De son contenu diversifié, la recension a déjà était faite dans le numéro 312 de la Recma (mai 2009). Ce dernier dans l’ordre de la parution, mais l’avant-dernier dans l’ordre de la programmation se concentre sur le thème unique, mais fondamental, celui de la solidarité, un thème du XIXe siècle finissant, mais qui imprègne notre actualité d’une crise structurelle face à laquelle, si on ne se sert pas les coudes, on ne tiendra pas, notamment en Europe.

Une partie essentielle de ce volume est constituée du cours de Charles Gide donné au Collège de France pendant l’année universitaire 1927-1928 et portant sur le thème de la solidarité. Son traitement est exhaustif et part des formes de solidarités les plus naturelles et les plus matérielles, celles de l’hérédité et de l’organisation technique de la société, jusqu’aux interactions humaines les plus complexes et les discernements éthiques les plus raffinés.

Débats avec Bourgeois et Pareto

Les textes divers regroupés en première partie de ce volume appartiennent au début de la vie de Charles Gide, seul le dernier est contemporain de son cours au collège de France (1927) et il est intitulé « solidarité contrainte, solidarité libre » soulignant ainsi l’importance du thème de la liberté responsable. Antérieurs d’une vingtaine d’années à la première guerre mondiale, les textes de la première partie de cet ouvrage nous font découvrir le thème de la solidarité dans toute sa fraîcheur et en débat avec un Léon Bourgeois et un Wilfredo Pareto.

A la lecture du premier texte consacré au « parasitisme social », on est émerveillé. Ce qui apparaît comme un phénomène biologique fondamental chez les plantes, comme chez les animaux, devient très ambigu dans le monde humain : en économie avec les phénomènes de rente et dans la société, où la solidarité peut apparaître soit sous forme de parasitisme, soit sous forme d’acquittement d’une dette sociale. Le lecteur d’aujourd’hui s’interroge sur l’application de cette catégorie à la sphère financière avec ses prélèvements injustifiés sur l’économie réelle à travers le jeu des marchés financiers et ses automatismes algorithmiques qui déclenchent des opérations fructueuses.

Pour Gide, l’économie sociale se fonde sur une solidarité qui ne peut devenir éthique que si elle est vécue librement et sans contrainte. Ce mouvement fait passer d’une solidarité naturelle mais contrainte à une solidarité réfléchie et volontaire. Il rencontre le solidarisme de Léon Bourgeois qui cherche à fonder une doctrine économique qui ne soit, ni celle des socialistes autoritaires et des communistes qui suppriment les libertés, ni celle des libéraux qui ne s’intéressent qu’à la liberté des marchés, ni le paternalisme du catholicisme traditionnel, soucieux de restauration monarchique et de retour à l’ordre ancien des corporations. Le terme de solidarité a l’immense avantage d’évacuer le terme de charité et de lui trouver un remplaçant moins déconsidéré et plus « scientifique ». Avec le solidarisme, les radicaux ont une belle doctrine à eux, mais, trop longtemps au pouvoir, ils n’en ont pas profité pour mener jusqu’au bout des réformes sociales en faveur des plus défavorisés, ni pour témoigner d’une intégrité morale particulièrement forte. Quant aux libéraux à la Pareto, pour qui l’optimum social découle de l’équilibre général des marchés, ils ne voient dans le solidarisme qu’une forme de parasitisme social.

Dépasser la solidarité naturelle : le quasi-contrat, l'impôt...

Charles Gide note que pour les économistes, la solidarité ne s’affirme que par le jeu de la division du travail, de l’échange et de la concurrence. Mais cette solidarité naturelle liée au destin doit être remplacée par l’association professionnelle, puis par l’association mutualiste et surtout par la coopérative de consommation.

Gide évoque le solidarisme de Léon Bourgeois qui se construit autour du concept de quasi-contrat, cherchant ainsi un dépassement de la solidarité naturelle. Selon les premières Constitutions de la République, nous naissons avec une dette sacrée, qui fonde un devoir d’assistance. Le code civil a un titre 4 qui traite des quasi-contrats, c’est-à-dire des engagements qui se forment sans convention. Le devoir transforme l’héritage en dette, sans passer par le contrat. Mais alors par qui doit-elle être payée ? Réponse : Par tous ceux qui ont fait fortune, soit en profitant des solidarités naturelles, soit de coopérations volontaires, par tous ceux qui ont touché plus que leur part. A qui faut-il payer ? A tous ceux qui n’ont pu bénéficier de la solidarité naturelle et à tous les déshérités de la vie. Comment payer ? Par des contributions volontaires spontanées, mais aussi par des contributions fiscales, comme l’impôt progressif dont le projet était débattu pendant la première décennie du XXème siècle. L’impôt progressif permet d’acquitter la dette sociale. On y pense encore aujourd’hui, à partir des recherches initiées par Thomas Piketty qui montrent que seul l’impôt progressif sur le revenu réduit à long terme les inégalités de patrimoine.

Charles Gide pense qu’avec le quasi-contrat et la dette sociale, Léon Bourgeois apporte une réponse supérieure à celle des libéraux ; mais, celle demeure insuffisamment précise. Il faut aller vers les associations professionnelles, les associations mutualistes et les associations coopératives.

…. et l'éthique coopérative

La meilleure des formules juridiques ne suffit pas néanmoins. Dans un texte de 1903, Gide s’interroge sur la mise en pratique de la solidarité dans les coopératives. Le mouvement est en scission entre les coopératives socialistes et les coopératives « nîmoises » et les remarques de Gide sont acerbes. Dans ces hauts lieux de la morale sociale où l’éthique devrait s’incarner, il note toute une série de dysfonctionnements: ces restaurants sociaux au tarif étalonné selon les revenus et qui disparaissent lorsque les riches ne veulent plus payer davantage que les pauvres ; l’arrogance de dirigeants d’une coopérative de consommation qui font défiler devant eux avec mépris leurs fournisseurs mis en concurrence, tandis que les phénomènes de corruption perdurent avec la loi du silence. Au total, le manque de solidarité entre fédérations de coopératives et les conflits entre elles ruinent l’utopie de la République coopérative.

Qu’elle soit juridiquement désignée « coopérative », « sociale », « mutualiste », « associative » ou « solidaire », toute économie a d’abord besoin d’éthique : celle qui engage la conscience de ses acteurs, éclaire leurs choix et guide leurs pratiques.

Hugues Puel