Les mutualistes à l’épreuve de la guerre (1939-1945)

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Michel Dreyfus, Arbre bleu, 2021, 228 pages.

Michel Dreyfus, historien du mouvement social, directeur de recherche émérite au CNRS, est l’un des rares spécialistes de l’histoire de la mutualité. Avec cet ouvrage il comble un vide historiographique patent. En effet, comme il le rappelle dans son introduction, les activités de cette composante essentielle de l’économie sociale « se déroulent sans bruit et son passé est ignoré » ; et pour la période sombre des années 1939-1945, cette ignorance est profonde et non fortuite. A peine esquissée, la vie mutualiste pendant la Seconde Guerre mondiale a souffert d’une absence d’étude approfondie, étouffée par la culpabilité des instances nationales à propos du soutien apporté par leurs prédécesseurs à la « Charte du travail », pilier social de la Révolution nationale menée par le régime de Vichy. L’histoire même de cette publication illustre ce malaise. Elle se fonde sur un rapport commandé à Michel Dreyfus par la Fédération nationale de la mutualité français (FNMF), en 2001, qui ne sera jamais publié. C’est à l’initiative de la maison d’édition L’Arbre bleu et de l’historienne Patricia Toucas-Truyen, qui y dirige la collection L’écho social et solidaire, que celui-ci, largement remanié et augmenté par son auteur, peut enfin être publié vingt ans plus tard. Ce travail nécessaire se fonde sur des recherches menées dans les archives de la FNMF et s’enrichit des travaux de référence consacrés à l’histoire de la mutualité et de la protection sociale ainsi que de nombreuses monographies mutualistes publiées depuis les années 1980. Il réalise une synthèse des connaissances à l’aune des multiples questions qui se posent sur le fonctionnement et le comportement de la mutualité pendant la seconde guerre mondiale avec la volonté de dépasser le silence qui pèse sur cette histoire. Il est jalonné de réflexions éclairantes sur les caractères spécifiques de cette institution et sur sa place dans la société et dans la recherche historique. Il fourmille d’exemples  qui illustrent la diversité du monde mutualiste des hautes instances jusqu’à la base, d’une région à une autre, d’un département à un autre, d’une mutuelle à une autre.
Après un état des lieux rappelant le rôle social  joué par la mutualité à la veille de la guerre, Michel Dreyfus nous livre un récit multiple des adaptations mutualistes, nationalement et localement, au contexte de guerre et d’invasion et d’occupation du territoire, d’instauration du régime de Vichy, d’élaboration et d’application de la politique sociale pétainiste, de la Libération et de la création de la sécurité sociale. La mutualité assume son rôle face à l’urgence sanitaire et sociale, reste épargnée par les mesures répressives et la volonté de contrôle étatique de la société, s’adapte aux réformes des assurances sociales dont elle reste l’un des rouages administratifs essentiels, protège sa fortune, se modernise et accroit ses champs d’action et ses effectifs. Forte de plus de 9 millions d’adhérents, structurées en dizaines de milliers d’entités, du national au local, la mutualité est vaste et composite et réagit diversement aux évènements. Mais, somme toute, l’institution est largement préservée par ce contexte politique économique et social troublé.
De chapitre en chapitre se précisent les  éléments de réponse à la question, rarement assumée par les mutualistes, de la compromission avec le régime de Vichy. Les chapitres spécifiquement dédiés l’un au soutien des instances nationales à la Charte du travail,  texte phare du nouvel ordre social et moral corporatiste vichyssois, et l’autre à la minorité de mutualistes résistants, montrent, qu’au-delà de la fascination exercée par Pétain sur certains dirigeants, le pragmatisme et la volonté de sauvegarder les intérêts et le patrimoine de l’institution priment sur toute autre considération, sous couvert du principe de neutralité. Les actes de résistance marginaux et éparpillés ne peuvent masquer la réalité de cette accommodation sans grands heurts à un régime autoritaire liberticide et collaborateur. Le dernier chapitre de l’ouvrage est consacré aux lendemains de la guerre et à la mutation profonde que connait la mutualité. A la Libération, épargnée par l’épuration, isolée et ignorée, elle doit faire face à la première grande crise de son histoire. La création de la sécurité sociale menace son existence et les mutualistes luttent pour préserver un rôle à  l’institution. Ce sera la gestion de la complémentaire santé et la gestion des œuvres sanitaires et sociales.
Dans cet ouvrage riche et éclairant, Michel Dreyfus rappelle le rôle essentiel joué par les mutualistes dans l’instauration et la gestion de mécanismes de protection sociale dans la France contemporaine. La prévoyance publique obligatoire préexiste à la Sécurité sociale par le biais des assurances sociales mises en place entre les deux guerres. L’ouvrage comble l’une des principales lacunes de l’histoire de la mutualité. Il pose donc les  bases chronologiques et thématiques de son évolution dans les années 1939-1945, balisant ainsi un nouveau champ de recherches et de nouvelles perspectives, notamment celles relatives à la résistance et à la collaboration. Et il questionne sur le principe, le dogme, de neutralité appliqué en mutualité.

Stève Desgré