« L’entrepreneuriat social, une chance pour l’économie sociale » Par le Conseil d'administration du Mouvement des entrepreneurs sociaux

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Claude Alphandéry, Barbara Blin-Barrois, Jean-Marc Borello, Patrick Dargent, Michel Dupoirieux, Philippe Frémeaux, Jean-Guy Henckel, Christian Jacquot, Hervé Knecht, Jean-Michel Lécuyer, Arnaud Mourot, Antonella Noya, Alain Philippe, Rémi Roux, Marc Saint-Olive, Virginie Seghers, Thierry Sibieude, Hugues Sibille, Christian Valadou. Membres du Conseil d’administration du Mouvement des entrepreneurs sociaux.

Le Mouvement des entrepreneurs sociaux est né et bien né. Un démarrage réussi le 2 février dernier, avec plus de 200 personnes réunies pour enclencher une dynamique de travail. Ce lancement, porteur d’élan et d’avenir, s’est aussi accompagné d’interrogations légitimes sur notre démarche, au sein de l’économie sociale. Il nous a semblé dès lors nécessaire de prendre la parole, dans un esprit de dialogue, pour clarifier les choses et dessiner des perspectives.

D’abord, en répondant à des questions importantes sur notre approche, pour lever les malentendus. Ensuite, en soumettant quelques idées clés sur lesquelles nous invitons au débat - un débat respectueux, approfondi et pluriel, qui cherche les voies positives pour que l’ESS puisse réellement faire mouvement, dans son unité et sa diversité, au service de la société et de son émancipation.

La mise en mouvement d’une ESS ouverte et offensive, la réponse aux grands enjeux sociaux et environnementaux du 21ème siècle, la progression de nos pratiques, la construction de nouvelles alliances vigilantes et audacieuses, la réponse aux attentes de la jeunesse, voilà ce qui nous motive !

Ce texte s’inscrit dans cette perspective.

QUELQUES REPONSES POUR ECLAIRER NOTRE DEMARCHE

1) L’entrepreneuriat social se construit-il contre les statuts d’économie sociale ?

Depuis le départ, nous l’affirmons haut et fort. La question « pour ou contre les statuts d’économie sociale » n’est pas celle que nous posons. Bien évidemment les statuts sont essentiels. Ils constituent des gardes-fous pérennes et solides qui dépassent les personnes et s’inscrivent dans la durée. Ils instaurent des règles de fonctionnement qui privilégient le long terme, la non recherche de lucre et une gouvernance collective.

La majorité des entrepreneurs sociaux évolue d’ailleurs aujourd’hui sous statuts d’économie sociale, de « sociétés de personnes ». Ce n’est pas un hasard ! La finalité du projet et la manière de le mettre en œuvre sont intimement liés.

Mais les statuts d’économie sociale ne suffisent pas à garantir des pratiques sociales ou environnementales vertueuses. L’enjeu est donc plutôt : comment, au-delà de la nécessaire défense des « sociétés de personnes », développer un langage de la preuve de nos pratiques et impacts, qui permette de convaincre au-delà des cercles d’initiés et de militants.

Dans le contexte d’un droit européen rétif aux distinctions statutaires, d’une montée de la RSE au sein des entreprises « classiques », de « dérives » de certaines entreprises d’économie sociale, d’une attente très forte des citoyens pour une économie socialement utile, le statut ne suffit plus à défendre l’ESS et ses spécifités ou à convaincre de sa pertinence. Il faut aller plus loin. C’est pourquoi nous voulons aussi parler d’impacts et de pratiques (cf. faisceau de critères de l’entreprise sociale, en annexe), et prouver constamment que l’on met en pratique nos valeurs, en s’appuyant sur des statuts.

Notons enfin que si certains entrepreneurs sociaux ont choisi des statuts commerciaux pour y inscrire leurs pratiques, c’est aussi par manque de connaissance et d’information sur les statuts d’économie sociale, voire par absence de formes juridiques d’économie sociale répondant à leurs besoins - formes qui restent à inventer.

2) L’entrepreneuriat social est-il le cheval de troie du capitalisme financier ?

L’entrepreneuriat social partage avec l’économie sociale la volonté de démocratisation de l’économie.

L’économie sociale est porteuse de démocratie économique au sens premier : les décisions économiques doivent être prises, directement ou indirectement, par les personnes concernées par leurs conséquences. Ainsi dans les Scop, ceux qui décident sont ceux qui travaillent, et non pas des actionnaires financiers focalisés sur la rentabilité.

L’entrepreneuriat social est aussi porteur de démocratie économique, au sens où il permet l’accès et la participation positive du plus grand nombre à l’économie. Il permet de lutter contre les exclusions économiques (emploi, crédit…) et pour les droits individuels (droit au travail, à la formation, à une alimentation saine, à l’initiative…). Il vise à redonner à chacun la possibilité de s’impliquer directement et positivement dans le jeu économique et à quitter une « abstention économique » souvent subie pour une « citoyenneté économique » active.

La démocratie est en effet en tension avec le capitalisme financier actuel, qui tend à imposer un modèle d’entreprise unique et exclut hors du système économique un nombre croissant de personnes.

Pourtant, le thème de la démocratie économique n’est guère à la mode auprès des décideurs. On en reste encore à une vision où le pouvoir économique appartient strictement au détenteur du capital. La crise financière actuelle, où la cupidité d’une minorité cause un désastre pour la majorité, a montré avec force l’impasse de cette vision.

Le temps vient donc de soumettre l’économie à l’exigence démocratique, en favorisant à la fois le développement de l’économie sociale et de l’entrepreneuriat social, véritables « agents de démocratisation » de l’économie, complémentaires et indissociables.

3) L’entrepreneuriat social est-il un simple outil marketing ?

Si l’entrepreneuriat social a le vent en poupe, il n’est pas une mode mais bien un mouvement durable et international.

Il répond en effet à des aspirations profondes des acteurs économiques : consommateurs attirés par les produits équitables ou bio, épargnants motivés par l’épargne solidaire, financiers désireux d’investir autrement, entreprises soucieuses de leur responsabilité sociale… Il constitue un trait d’union entre ces dynamiques de changement. Il les relie et les amplifie.

De plus, l’État n’a pas, aujourd’hui comme hier, le monopole de l’intérêt général. S’il en reste le garant, il doit aussi accepter d’y répondre en partenariat avec des acteurs privés comme ceux de l’économie sociale et solidaire, ce qui favorise le développement de l’entrepreneuriat social.

Enfin, les profils variés des entrepreneurs sociaux témoignent de l’envie croissante de donner du sens à son travail : jeunes diplômés ne voulant pas perdre leur vie à la gagner, cadres de grands groupes déçus par la financiarisation, entrepreneurs ayant réussi et souhaitant une seconde vie socialement plus utile, etc. On ne naît pas entrepreneur social, on le devient !

L’entrepreneuriat social suscite en outre un intérêt particulier auprès des jeunes . L’économie sociale doit-elle rester insensible aux attentes des nouvelles générations alors que 25 % de ses actifs partiront à la retraite d’ici 2020 (plus de 520.000 postes) ?

L’économie sociale est exigeante. Dans un monde imprégné d’idéologie individualiste, son message n’est pas simple à faire passer. Pour nombre de personnes, l’entrepreneuriat social peut être une première étape, une manière concrète de quitter l’univers du « for profit » et commencer à appréhender d’autres formes économiques et entrepreneuriales.

4) L’entrepreneuriat social est-il une approche individualiste ?

La distinction entre entreprise sociale et entrepreneuriat ne tient pas : pas d’entreprise sociale sans entrepreneur social, pas d’entrepreneur social sans collectif. Tout est lié. On ne peut parler d’entrepreneuriat social, sans parler à la fois d’entrepreneur social et d’entreprises sociales.

L’ESS est une économie de la tension. Ces tensions sont sources de fragilité, mais en même temps, elles font sa force et sont la preuve même de sa vitalité et de sa pertinence.

Ces tensions sont inhérentes à la pratique démocratique, inutile donc de les nier, ou de les instrumentaliser. Il faut plutôt chercher les moyens, les méthodes, les bonnes pratiques pour les comprendre, les gérer et in fine les dépasser. Tout comme il y a tension entre le souci d’efficacité économique et la nécessaire vitalité démocratique des entreprises sociales, Il y a tension entre leadership et projet collectif.

Les entreprises sociales ont besoin à la fois d’une dynamique collective et d’un leadership légitime. L’exigence de solidarité et de démocratie dans ces entreprises ne doit pas conduire à une négation du leadership, indispensable à leur bon pilotage (stratégie, vision, mobilisation des salariés et bénévoles…). Et inversement, l’affirmation de l’entrepreneur et de ses motivations individuelles ne doit pas affaiblir ou renier ce qui constitue le code génétique et la force de ces entreprises : le collectif.

On peut donc mettre en avant l’entrepreneur social sans que cela soit un éloge de l’individualisme ! L’entrepreneuriat social veut mobiliser compétences et talents individuels au sein d’un projet collectif, mettre davantage en valeur le rôle des personnes, et notamment des entrepreneurs : n’y aurait-il pas paradoxe à se réclamer des « sociétés de personnes » et à ne pas se soucier des personnes dans leur singularité et leurs capacités ?

D’autant plus que l’ESS a besoin d’entrepreneurs sociaux. Pour innover. Développer les structures existantes. Dupliquer des réussites économiques et sociales. Prendre la relève des départs en retraite. Faire face à la concurrence du privé lucratif sur les activités d’intérêt général souvent défrichées par l’ESS. Consolider et restructurer des entreprises existantes en difficulté.

Notre ambition est bien de démultiplier ces entrepreneurs sociaux, de faire émerger et former de nouveaux talents, au service d’une économie sociale et solidaire.

5) L’entrepreneuriat social est-il une approche anglo-saxonne ?

S’inscrivant dans la lignée de l’histoire séculaire de l’économie sociale, l’entrepreneuriat social est une dynamique internationale qui a émergé pendant les années 80, concomitamment à la montée des crises sociales et environnementales.

Prenant des formes très diverses dans de nombreux pays, elle a comme fil rouge une idée-force : l’initiative économique privée, non lucrative, peut être un levier puissant pour répondre efficacement aux problèmes sociaux et environnementaux. L’entrepreneuriat social a pour partie une histoire anglo-saxonne. Mais il a aussi une histoire européenne, née en Italie (impresa sociale) au cœur du monde coopératif et de l’économie sociale.

Aux USA, l’entrepreneuriat social a été popularisé par Bill Drayton, fondateur d’Ashoka puis par de grandes universités (Harvard, Colombia, Yale) et diverses fondations (Skoll par exemple). Dans les pays en développement d’Asie, M. Yunus, Prix Nobel de la Paix, l’a diffusé, à travers son expérience de Grameen Bank puis de nombreux autres « social business ».

En Europe, l’entrepreneuriat social fait son apparition au cours des années 90 au cœur même de l’économie sociale, sous une impulsion d’abord italienne, à travers les “coopératives sociales” qui se développent alors fortement, notamment pour répondre à des besoins non ou mal satisfaits par les services publics.

Des dynamiques d’entrepreneuriat social ont alors émergé dans d’autres pays européens. D’une intensité variable et de natures différentes, elles partagent néanmoins certains traits : création de nouveaux statuts et dispositifs, mobilisation des pouvoirs publics, apparition de nouveaux acteurs, essor de filières d’activités dynamiques (environnement, insertion, équitable, bio…), intérêt pour le sujet du système éducatif, des médias.

Un réseau européen de chercheurs (EMES) se constitue dès 1996. Ses travaux ont d’ailleurs irrigué la réflexion du Mouvement des entrepreneurs sociaux, tout comme les travaux de l’OCDE, qui travaille depuis plus de 10 ans sur l’entrepreneuriat social (première publication en 1999). La CECOP est aussi très active sur le sujet au niveau européen.

Il existe une culture européenne de l’entrepreneuriat social qui insiste davantage sur le projet collectif, la gouvernance non fondée sur la propriété du capital et sur l’entreprise sociale comme vecteur d’union entre monde coopératif et monde associatif. Nous sommes en phase avec cette vision présente, de manière diverse, dans les différents pays européens.

6) L’entrepreneuriat social est-il l’instrument des grandes entreprises multinationales et des grandes écoles de commerce ?

Oui, des grands groupes et des écoles de commerce s’intéressent à l’entrepreneuriat social. Mais si ces acteurs se préoccupent davantage de limiter les risques et de contribuer véritablement au bien public, pourquoi s’en plaindre a priori ?

Critiquer les initiatives des grandes groupes ou des écoles de commerce par principe, sans même savoir précisément ce qui s’y passe - quels sont les résultats, les impacts, les progressions, les échecs, pour les différentes parties prenantes - n’a pas de sens. Tout comme se contenter d’images d’Epinal : les fondations d’entreprise, simples agents du recul de l’Etat ; les grands groupes, uniquement motivés par l’image ; la philanthropie, juste un facteur d’accroissement des inégalités, etc.

La question pour nous n’est pas d’être pour ou contre a priori. Il s’agit plutôt d’analyser concrètement et véritablement ce qui se passe, comment cela se passe, avec quel bilan. Approfondir. Analyser. Cas par cas. Mais en conservant également une vigilance critique. En particulier sur deux points.

D’abord, la logique actionnariale implacable, issue du modèle anglo-saxon, continue à pénétrer davantage en Europe et à y faire reculer un modèle partenarial d’entreprise, marqué par un dialogue renforcé des parties prenantes, par un souci du long terme. Les modes de gouvernance restent marqués par l’empreinte financière et les normes comptables internationales (IFRS) conçues pour la satisfaction d’investisseurs financiers à court terme.

Le second point de vigilance : ces grandes entreprises internationales qui mettent en avant et agissent en faveur de l’entrepreneuriat social, vont parfois en même temps à l’encontre d’un ancrage entrepreneurial au niveau local en développant, sous l’effet d’une concurrence violente, des stratégies « hors sol ». On peut émettre des jugements moraux sur les comportements des dirigeants. Mais c’est la logique de la rentabilité financière maximale qui est en cause et à combattre. C’est là que la logique de la création de valeur uniquement actionnariale marque sa limite, que l’ESS peut prendre la parole.

En fait, la ligne de démarcation de la démocratie économique nous paraît utile. Dans ces expériences, celles qui ont le plus de chance de durer, de faire sens sont celles qui associent les populations locales (bénéficiaires, producteurs, distributeurs…), les autorités locales, les ONG locales.

7) Le Mouvement des entrepreneurs sociaux veut-il prendre la place des institutions existantes de l’ESS ?

Nous l’avons affirmé dès le départ. Le Mouvement des entrepreneurs sociaux souhaite un CEGES et des CRESS fortes et représentatives de l’ensemble du secteur et de ses sensibilités. Il soutient également la reconnaissance des employeurs de l’ESS comme acteurs à part entière du dialogue social. L’ESS a besoin d’institutions partagées, claires, visibles.

Le Mouvement des entrepreneurs sociaux visera à les renforcer : en facilitant, par le dialogue et la coopération des entrepreneurs sociaux, une logique de réseau plutôt que de silo ; en étant force de propositions pour le développement du secteur ; en accélérant la mise en place d’outils structurants pour l’essor de l’ESS : indicateurs de pratiques et d’impacts, salons d’affaires et places de marché web, fonds d’investissement sur l’innovation sociale, incubateurs et fabriques à initiatives, formations initiales et continues, etc.

QUELQUES IDEES POUR ENGAGER UN VRAI DEBAT

1) L’entrepreneuriat social revient en fait aux sources de l’économie sociale

Les pionniers des coopératives et des sociétés de secours mutuels au 19ème siècle étaient mus par un sentiment de révolte, de refus de la fatalité, par une volonté de répondre à des besoins non satisfaits, d’apporter des réponses collectives à des problèmes sociaux, par l’envie de remettre dans le jeu économique des personnes qui en étaient exclues… comme les entrepreneurs sociaux d’aujourd’hui !

En ce sens, l’entrepreneuriat social est un retour aux sources de l’économie sociale et de ses pères fondateurs, de leurs utopies, de leurs engagements. Nous en avons bien besoin : les besoins de crédit responsable et non discriminant, de débouchés commerciaux équitables, de gestion collective non spéculative du patrimoine (terres, logements) sont toujours aussi importants !

L’exigence démocratique impose à l’économie sociale d’être un acteur engagé dans la (re)conquête des droits : droit à la santé, droit à une alimentation saine, droit au travail, doit au logement, droit au crédit… L’économie sociale doit contribuer à ce que les personnes qui sont en dehors de l’économie y reviennent pour bénéficier de leurs droits.

L’économie sociale doit conserver et renouveler un goût de résistance à l’oppression, l’exclusion, l’inégalité, à partir duquel construire des réponses économiques et sociales qui aient un but simple : la dignité de l’homme, de tous les hommes. L’entrepreneuriat social, qui porte cette ambition, est une opportunité pour l’économie sociale.

2) Economie sociale, économie solidaire, entrepreneuriat social : trois éclairages complémentaires pour une « économie sociale et solidaire sans rivages »

Nous voyons l’ESS « sans rivages » comme un ensemble pluriel aux frontières dynamiques et structurée par trois sensibilités : celle de l’économie sociale, le terreau séculaire ; celles de deux autres rameaux issus de ce terreau initial, l’économie solidaire et l’entrepreneuriat social.

Ces trois cultures sont pour nous complémentaires et convergentes. Alors que la « maison brûle » (crises sociales, environnementales, démocratiques) et que les incendiaires n’hésitent pas à prendre les habits des pompiers, l’urgence est-elle vraiment à les opposer ?

Arrêtons de les confronter, cherchons plutôt à en valoriser les complémentarités, comme le propose Le Labo de l’ESS. L’économie sociale insiste par exemple sur la cohérence de l’organisation juridique, la non-lucrativité et la gouvernance démocratique ; l’économie solidaire sur le rôle des territoires, la mobilisation citoyenne, le projet politique ; l’entrepreneuriat social sur l’orientation entrepreneuriale, l’évaluation de l’impact et des pratiques, les nouvelles alliances.

Créons une émulation saine et respectueuse : que l’économie sociale interroge l’entrepreneuriat social sur la gouvernance démocratique ; que l’entrepreneuriat social questionne l’économie sociale sur la responsabilité sociale ; que l’économie solidaire interpelle l’économie sociale et l’entrepreneuriat social sur la dimension politique de leurs démarches. Faisons dialoguer les sensibilités au lieu de les opposer, et construisons un sens commun offensif.

3) « En face » de cette ESS sans rivages, une économie « classique », aussi plurielle que l’ESS.

L’économie « classique » n’est pas un tout monolithique, à accepter ou rejeter en bloc.

On ne peut parler « d’entreprises de capitaux » qu’au pluriel : elles prennent une grande diversité de formes, de tailles, de finalités, de gouvernance. Appréhender « l’économie classique » comme un tout unique, qui plus est, a priori négatif, est un paradoxe quand on défend « l’économie plurielle » et même un déni du réel dans lequel, doit-on le rappeler, évolue la majorité de la population !

Il existe nombre d’entrepreneurs TPE / PME comme ceux du réseau Entreprendre ou du CJD (Centre des Jeunes Dirigeants) avec qui, au-delà de certaines différences (sur le rapport au patrimoine par exemple), nous partageons des valeurs communes : souci de l’humain et de la planète, du long terme, de l’ancrage territorial. Sans parler des entrepreneurs « classiques » qui ont voté pour les listes économie sociale aux prudhommales : que fait-on, leur dit-on d’aller voir ailleurs ?

Face aux défis colossaux, complexes de nos sociétés, l’approche bloc contre bloc nous semble vaine et inadaptée. Défendre les sociétés de personnes comme mode d’entreprendre spécifique est un combat indispensable et utile, mais pas suffisant. Le combat de l’ESS ne peut se limiter à cela.

4) Positionnons-nous pour une vision positive de la société, pour un projet de changement.

Nous souhaitons nous déterminer d’abord par nos alliés plutôt que nos adversaires, par des projets plutôt que du rejet, par des propositions plutôt que des critiques. Nous préconisons cette approche pour l’ensemble de l’ESS.

Concentrons-nous sur les solutions de l’ESS, souvent innovantes et inspirantes, aux défis de la société : chômage, qualité de l’emploi, cohésion sociale, logement pour tous, vieillissement, santé et couverture sociale, protection de l’environnement, éducation et formation, alimentation et agriculture, aménagement du territoire, pouvoir d’achat, discriminations, etc. Valorisons-les davantage, développons-les, essaimons-les : changeons d’échelle sans changer de valeurs.

Ceci étant, l’ESS ne peut être une corporation motivée uniquement par augmenter sa « part de marché » du PIB, au détriment de celle de l’économie « classique »… Passer de 10 à 12 ou 15 % du PIB manque en effet de pertinence et d’intérêt si dans le même temps, les 88 ou 85 % restant de l’activité économique continuent d’ignorer la démocratie, la solidarité et la responsabilité.

A un moment où l’ampleur des défis, leur interdépendance, leur complexité, leur internationalisation rendent caduques les approches monolithiques, le projet de l’économie sociale ne peut donc se limiter à affirmer son identité, à défendre ses spécificités et à viser uniquement son propre développement.

Il doit s’inscrire dans un projet plus large de changement social, économique et écologique. En alliance avec tous ceux qui partagent ce projet : élus, syndicalistes, consommateurs, entrepreneurs classiques responsables, ONG, etc.

5) L’entrepreneuriat social dérange car il pointe certains défis de l’économie sociale… non pas pour l’affaiblir mais pour la renforcer

L’économie sociale n’était pas « un pays des merveilles » qui allait très bien avant l’émergence de l’entrepreneuriat social… L’entrepreneuriat social et notre jeune Mouvement dérangent aussi car ils mettent le doigt sur certains défis connus de l’économie sociale :

  • développer la capacité à produire des indicateurs de pratiques sociales, environnementales et démocratiques, transversaux à l’ESS
  • renforcer les coopérations économiques et les flux d’affaires entre entreprises de l’ESS
  • faire davantage mouvement autour d’un projet commun et offensif, renforcer le sentiment d’appartenance à l’ESS au sein des entreprises qui en relèvent
  • approfondir la réflexion sur des sujets encore peu traités comme par exemple, l’encadrement de l’échelle des salaires dans les entreprises de l’ESS. Notre objectif n’est pas d’aggraver ces fragilités mais de les prendre à bras le corps, de les dépasser, par des solutions constructives et efficaces. Ces défis ne sont pas une fatalité ! Ils peuvent être relevés. Encore faut-il s’y attaquer véritablement, ne pas se contenter de compromis nivelés par le bas ou faire de l’entrepreneuriat social le bouc émissaire responsable de tous les maux.

6) Les territoires ont besoin d’une ESS entreprenante

Les collectivités territoriales françaises vont faire face dans les années qui viennent à un double défi : la diminution des financements publics de l’Etat en proie à des déficits colossaux et une réforme importante de leur fonctionnement. Ces deux défis vont probablement affecter à la baisse les financements dédiés à l’ESS.

L’ESS devra alors se montrer particulièrement convaincante : les pouvoirs publics ne soutiendront pas l’ESS en tant que fin en soi, mais bien en tant qu’acteur fortement créateur d’emplois et de solidarités, porteur d’amélioration de la qualité de vie des citoyens, avec une réelle efficacité économique et un langage de la preuve de son impact.

Cette évolution appelle naturellement un renforcement de la démarche entrepreneuriale de l’ESS, sans rien sacrifier à sa vocation d’intérêt général et de démocratie économique. Le Mouvement des entrepreneurs sociaux y contribuera activement.

7) Nous rêvons d’une ESS…

Nous rêvons ainsi d’une ESS décomplexée, aussi pragmatique qu’audacieuse, aussi empathique que conquérante, qui parle autant d’elle que de la société, qui parle d’elle pour être utile à la société.

Une ESS qui ose se réapproprier le mot « entreprendre » abandonné à l’imaginaire libéral, pour lui donner un sens plus fort et plus riche.

Une ESS qui défende les sociétés de personnes mais tienne également un langage de la preuve de ses pratiques et de son impact, pour convaincre et être audible au-delà des cercles d’initiés.

Une ESS qui, forte de son identité et de sa vocation d’intérêt général, ose de nouvelles alliances audacieuses au service du bien commun.

L’entrepreneuriat social, tel que le porte le Mouvement des entrepreneurs sociaux est une chance pour y parvenir.

CARACTERISATION DE L’ENTREPRISE SOCIALE PAR LE MOUVEMENT

Le Mouvement a défini à sa création un premier socle (simplifié et détaillé) de caractérisation de l’entreprise sociale, présenté ci-dessous. Il engage maintenant une seconde étape visant à aboutir à des critères précis, partagés et mesurables.

Définition simplifiée de l’entreprise sociale :

« Les entreprises sociales sont des entreprises à finalité sociale, sociétale ou environnementale et à lucrativité limitée. Elles cherchent à associer leurs parties prenantes à leur gouvernance. »

Définition détaillée de l’entreprise sociale

A partir d’un faisceau de critères portant à la fois sur les objectifs de l’entreprise et les moyens mis en œuvre. Ce faisceau est le résultat de nombreux travaux, impliquant des acteurs très divers de l’économie sociale et solidaire et du développement de l’entrepreneuriat social. Il est en phase avec les visions existant ailleurs en Europe.

Ce faisceau distingue des critères indispensables :

Deux critères d’objectifs

 

* Finalité sociale, sociétale, environnementale ou territoriale inscrite dans l’objet social de l’entreprise et dans le pacte d’actionnaires (s’il existe)

* Créateur d’emplois

Six critères de moyens

* Initiative privée

* Production de biens et de services

* Recherche de l’implication d’une ou plusieurs parties prenantes dans la gouvernance (processus)

* Rémunération limitée des apports en fonds propres

* Excédents majoritairement réinvestis dans le projet

* Encadrement de l’échelle des salaires (1 à 10 max, en fonction du nombre de salariés)

… et des critères recommandés

Deux critères d’objectifs

* Innovation sociale

* Ancrage territorial Quatre critères de moyens

* Activité marchande significative

* Statut d’économie sociale

* Appartenance à un réseau d’économie sociale et solidaire

* Intégration des impératifs de développement durable

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