Le contrat d’engagement républicain : un constat de désengagement républicain

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L’obligation de souscription du contrat d’engagement républicain est en vigueur depuis le 2 janvier 2022. Par l’étendue des organisations concernées comme par la désapprobation massive dont il fait l’objet, ce nouveau venu requiert qu’on lui consacre quelques développements, nécessairement limités. Ce contrat est un élément de la politique de lutte contre le séparatisme, que l’assassinat du professeur d’histoire Samuel Paty a peut-être simplement accéléré. Annoncé par Emmanuel Macron quelques jours avant cet assassinat, il a donné lieu à un projet de loi déposé devant l’Assemblée nationale fin 2020 et voté en moins de neuf mois. La loi confortant le respect des principes de la République a été adoptée le 24 août 2021 ; elle est complétée notamment par le décret n°2021-1947 du 31 décembre 2021 qui comporte en annexe le texte du fameux contrat. Celui-ci comprend sept engagements, qui déclinent les orientations fournies par la loi : respect des lois de la République, liberté de conscience, liberté des membres de l’association, égalité et non discrimination, fraternité et prévention de la violence, respect de la dignité de la personne humaine, et respect des symboles de la République.
Les personnes soumises aux nouvelles obligations sont nombreuses : les associations et fondations qui sollicitent une subvention, mais aussi celles qui sollicitent une onction publique via un agrément ou une reconnaissance d’utilité publique. L’analyse détaillée fait toutefois apparaître des incertitudes sur l’étendue des obligations qui s’imposent aux diverses catégories, dans la mesure où les associations qui demandent un agrément et les associations et fondations qui demandent la reconnaissance d’utilité publique ne sont soumis qu’à l’obligation de respecter les principes issus du contrat (1).
La première critique adressée à ce contrat, notamment par le Haut Conseil à la Vie Associative (avis du 2 décembre 2020), est qu’il est inutile puisqu’il n’ajoute rien aux lois préexistantes : on n’a pas attendu cette loi pour qu’il soit illicite de porter atteinte aux symboles de  la République par exemple, c’est même une cause de nullité de l’association. L’argument est toutefois discutable, à deux titres.
Une première utilité peut être trouvée au contrat si on admet qu’il s’agit d’un contrat pédagogique. À coup sûr, ce n’est pas un contrat comme un autre, et le Conseil d’État avait même dans son avis sur le projet de loi suggéré d’abandonner la qualification de contrat. À la différence du contrat ordinaire qui se caractérise par la création d’obligations, le contrat pédagogique se contenterait de reproduire des obligations qui figurent déjà dans la loi ; un exemple connu en a été le plan d’aide au retour à l’emploi (PARE). Il a été défini par une auteure comme « l’adhésion de la volonté à des droits et obligations existants aux fins de prise de conscience » (2).
La seconde utilité du contrat d’engagement républicain est qu’il s’accompagne d’un dispositif d’obligations positives et de sanctions qui ne figuraient pas nécessairement telles quelles dans la loi. On en citera deux exemples. D’une part, le contrat annexé au décret stipule dans le 4 e engagement que l’association « prend les mesures, compte tenu des moyens dont elle  dispose, permettant de lutter contre toute  forme de violence à caractère sexuel ou sexiste », ce qui dépasse l’obligation ordinaire de s’abstenir de comportements sexistes. D’autre part, la sanction de l’irrespect de l’engagement est nettement précisée et complétée ; auparavant,  si l’association contrevenait aux valeurs de la République, sa subvention n’était pas renouvelée, mais les sommes versées n’étaient pas réclamées, faute de fondement textuel. Dorénavant, non seulement l’autorité subventionneuse aura l’obligation de réclamer le remboursement de la subvention, mais en outre elle devra aussi alerter toutes les autres autorités subventionneuses pour qu’elles fassent de même.
Une troisième critique porte sur le spectre des agissements imputables à chaque organisation concernée. Le décret dispose que lui sont imputables les manquements commis par ses dirigeants, ses salariés, ses membres ou ses bénévoles agissant en cette qualité, ainsi que tout autre manquement commis par eux et directement lié aux activités de l’association ou de la fondation, dès lors que ses organes dirigeants, bien qu’informés de ces agissements, se sont abstenus de prendre les mesures nécessaires pour les faire cesser, compte tenu des moyens dont ils disposaient (3). À tout le moins et pour faire bref, on relèvera que les personnes dont les agissements sont pris en compte sont nombreuses et le moyen pour les associations de faire échec à cette imputabilité restreints.
Mais il faut éclairer tout ceci par un regard temporel long. Car, ce qui explique la vigueur et la généralité des réactions négatives à ce contrat d’engagement républicain, c’est qu’il manifeste une profonde méfiance des pouvoirs publics à l’égard du monde associatif et même philanthropique. Depuis 1901, les relations de l’État et du secteur associatif ont été celles du partenariat, et les associations ont été reconnues comme un des éléments fondamentaux du fonctionnement démocratique. Le point d’orgue juridique de cette reconnaissance a probablement été la sacralisation de la liberté d’association par le Conseil constitutionnel en 1971. Les associations n’étaient pas des laquais  du pouvoir, elles ne l’ont jamais été, mais le pouvoir avait compris qu’ils contribuaient les uns et les autres à la même fin et, bon an mal an, ils se soutenaient.
La crainte qui s’exprime, et les propos publics des membres de l’exécutif, y compris au sommet, l’ont nourrie, c’est que cette relation parfois conflictuelle, mais fondamentalement partenariale, est peut-être en train de voler en éclats. Exigence d’une réaffirmation ressassée d’un attachement aux valeurs républicaines, auxquelles les associations se battent quotidiennement pour donner vie ; accroissement des entraves à la liberté d’association documentées par un observatoire spécialement dédié ; instrumentalisation de l’action associative pour mettre en œuvre ou se substituer à des politiques publiques…
 Tout ceci rappelle de sombres heures : celles du XIX e siècle, lorsque le pouvoir n’était pas républicain et qu’il se méfiait des associations. Nous n’en sommes pas là, bien-sûr. Mais un malaise s’installe, les stigmatisations se multiplient, le judéo-maçonnisme ayant cédé la place à l’islamo-gauchisme. Les associations, gardiennes des idées républicaines, parfaitement conscientes de certaines dérives, cherchent à y apporter dans le quotidien des gens des solutions qui rassemblent au lieu de construire des murs et des cases. C’est en ce sens que le contrat d’engagement républicain pourrait bien être le signe du constat d’un désengagement républicain, de l’État.

David Hiez

(1) Pour une analyse plus technique : D. Hiez, « Le contrat d’engagement républicain », Revue trimestrielle de droit commercial, 2022, à paraître.
(2) J. Rochfeld, « Le PARE ou les virtualités du “contrat pédagogique” », RDC. 2005. 257.
(3) Décret n°2021-1947, 31 déc. 2021, art. 5 al. 1.