La Philanthropie. Un regard européen

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Brigitte Duvieusart et Luc Tayart de Borms Contributeurs Charles Sellen et Philippe Vandenbroeck, Economica, 2023,188 pages.

Voilà un ouvrage court et agréable à lire sur la philanthropie, sujet trop peu traité en France et terme ambivalent. Écrit par deux auteurs qui ont eu des responsabilités importantes à la Fondation du roi Baudoin - l’équivalent pour la Belgique de la Fondation de France - il aborde avec un esprit critique la littérature essentiellement américaine sur le don, la générosité et les fondations en la confrontant à d’autres cultures, quelles soient européennes, chinoise ou africaines. Il fourmille également d’exemples pratiques, tirés de l’expérience de ces deux praticiens et de leurs contributeurs, qui démontrent la complexité des problèmes auxquels veut répondre l’action philanthropique et la difficulté de la décision en ce domaine.

Ce livre se compose de deux parties à peu près égales. La première explore les paradoxes et la diversité du paysage actuel de la philanthropie alors que la seconde interroge les outils et atouts des organisations philanthropiques. Dans le premier chapitre, la philanthropie, définie comme l’ensemble des initiatives et générosités privées en faveur de causes d’intérêt général, est montrée dans sa diversité. La critique justifiée de la philanthropie des élites aux États-Unis surtout, car la philanthropie américaine est de plus en plus le fait des plus riches, ne doit pas s’adresser à l’ensemble d’un secteur philanthropique de proximité qui existe dans tous les pays et toutes les cultures depuis l’Antiquité. Le second chapitre analyse l’écosystème mouvant de la philanthropie et aborde le périmètre de son action , entre-deux entre État et marché. Il s’attache aux divers noms privilégiés selon les aires culturelles et les actions privilégiées. Le troisième chapitre, spécialement intéressant, interroge la légitimité de l’action privée au service du collectif dans un contexte de pluralité des systèmes de valeurs et d’idéologies. Le critère d’intérêt général détermine partout le contour de l’intervention philanthropique et justifie l’octroi de régimes fiscaux avantageux dans la plupart des pays. La conception historique anglo-saxonne de l’intérêt général, résultante de la confrontation des intérêts particuliers sur le marché s’oppose à la conception rousseauiste française où la volonté générale exprimée par l’État démocratique définit l’intérêt général. Cependant des exemples montrent l’existence de zones grises où l’intérêt général n’est pas évident et où l’action philanthropique peut concerner un petit groupe favorisé, se confondre avec le lobbying ou le green/social washing ou encore chercher à capter des données personnelles. Enfin les liens entre philanthropie et démocratie sont explorés ; les auteurs admettent que les fondations ne sont pas des institutions démocratiques mais explorent les voies qui permettent de pallier ce défaut.

La deuxième partie du livre intitulée « Changer le monde, oui mais comment ? » analyse d’abord le concept de changement social visé par la philanthropie et souligne la nécessité de sortir de la causalité linéaire, celle des modèles simplistes, qui ne marche que quand le futur est prévisible et non dans un univers volatile, incertain, complexe et ambivalent. Pour aborder la diversité des situations, il faut comprendre les systèmes d’acteurs et leurs relations tout en gardant en mémoire que l’observateur influence nécessairement le jeu des acteurs et en admettant que le temps de l’action philanthropique est évidemment plus rapide que celui du changement social. Ensuite, les auteurs explorent les atouts des organisations philanthropiques, en deuxième ligne après les pouvoirs publics dans la mise en œuvre de l’intérêt général. Leur pouvoir de convocation des parties prenantes tout d’abord, leur rôle de coordonnateur, rassembleur, instigateur, expérimentateur complémentaire  et souvent en partenariat avec les pouvoirs publics est un premier atout. Le second atout vient de leur capital financier et concerne surtout les fondations distributives qui ont à décider du pourcentage de ce capital dédié à leurs actions et à placer ce capital conformément à leur mission. Le capital relationnel et humain, ensemble des savoirs, compétences et réseaux dont disposel’organisation, reflété par son conseil d’administration, à la source de coalitions et comités de réflexion est coordonné à son capital réputationnel, éminemment fragile car à la merci du moindre scandale, ce qui peut inciter l’organisation à un certain immobilisme.

Enfin, le dernier chapitre essaye de renouveler la boite à outils des organisations en accompagnant l’octroi de soutiens financiers d’un conseil aux individus ou aux structures bénéficiaires qui peut aller jusqu’au partenariat et à la co-création des programmes. Il observe aussi le cycle de vie des problèmes publics et analyse les discours sur ces mêmes problèmes avec l’exemple éclairant de la réponse à la question « est-il encore raisonnable de prendre l’avion ? ». Le recours au dialogue participatif, les opportunités et les défis de l’ère numérique et de l’intelligence artificielle, les  ressources et les pièges de l’évaluation sont enfin explorés pour aboutir à la conclusion qu’il faut agir sur mesure, avec modestie et tenacité.

Cet ouvrage qui propose une vision européenne, ouverte et ambitieuse du secteur philanthropique s’adresse d’abord à tous ceux, individus et organisations qui se lancent dans une démarche philanthropique. En rendant accessible à tous ses lecteurs une bibliographie très savante et souvent ardue, en livrant des statistiques sûres et récentes, il facilite l’entrée des jeunes chercheurs dans un domaine trop peu exploré en France. Comme le remarque l’introduction de ce livre, alors qu’il existe une vingtaine de centres de recherche et d’enseignement sur la philanthropie en Europe, il  n’y en a aucun en France. Or depuis une décennie, la partie la plus dynamique de l’Economie sociale et solidaire, c’est le secteur des fondations qui succède à celui des associations sur les décennies précédentes. Avec un régime fiscal des dons parmi les plus favorables du monde, les dons défiscalisés des ménages et des entreprises françaises ne s’élèvent qu’à 0,3 % du produit intérieur brut, contre 0,8 % au Royaume Uni, en Allemagne ou aux Pays-Bas et 2,2 % aux États-Unis, ce qui montre bien que la fiscalité n’est jamais le premier moteur du don. Cependant le volume des dons défiscalisés est croissant en France et tous les dons ne sont pas défiscalisés. Il importe donc de mieux comprendre comment ces dons, estimés à neuf milliards d’euros soit le budget du ministère de la Justice, sont utilisés et comment ils s’articulent avec le don de temps, le bénévolat, les compétences des salariés des organisations et les initiatives des entrepreneurs sociaux pour compléter l’action publique dans de multiples domaines et parfois pallier sa défaillance.

Édith Archambault
Université Paris1