Du Teikei aux Amap, le renouveau de la vente directe de produits fermiers locaux

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Hiroko Amemiya. PUR, 2011, 350 p.

Le Japon n’est pas seulement précurseur d’innovations technologiques, il l’est aussi en matière d’innovations sociales, notamment agricoles. Autre élément singulier, l’innovation n’est pas l’apanage des salarymen, des chercheurs des grands laboratoires universitaires japonais ; elle vient aussi des femmes, des mères de famille soucieuses de la qualité de l’alimentation qu’elles donnent à leurs enfants. C’est ainsi que, dans un Japon alors jeune deuxième puissance économique mondiale, cherchant à "produire plus pour vendre plus" et déjà touché par des catastrophes écologiques et sanitaires, le système Teikei voit le jour dans les années 70, opposant la coopération à la concurrence.

Les rizières japonaises et la campagne bretonne : coopération et circuit court

Si « la vente directe de produits fermiers locaux pour l’alimentation est une activité ancienne, voire très ancienne », comme le souligne dans son introduction Hiroko Amemiya, anthropologue à l’université de Bretagne-Rennes 2 et coordinatrice de l’ouvrage, le Teikei constitue un renouveau. L’esprit fondamental du Teikei entre les producteurs et les consommateurs réside, selon Teruo Ichiraku, père fondateur et leader du mouvement Teikei (1), « dans une relation fraternelle entre les personnes qui ne soit pas du type d’une relation commerciale. Les deux partenaires sont égaux et ils entretiennent mutuellement une relation de compréhension et d’entraide. Elle doit être établie à partir d’une réflexion sur les modalités de la vie quotidienne du producteur et du consommateur ».

L’ouvrage nous propose un regard international franco-japonais autour de vingt et une contributions qui reconstruisent le lien entre le Teikei japonais et les Amap françaises. Elles retracent leur parcours temporel et géographique. La première partie de l’ouvrage, consacrée au Japon, montre comment on est passé de pratiques disséminées à une conceptualisation et à son inscription dans une philosophie humaniste, à un mouvement. Il est important de noter que le « centre névralgique » du système Teikei est l’association Nihon yûkinôgyô kenkyûkai (association japonaise de recherche sur l’agriculture biologique), comme le montre Hiroko Amemiya dans son texte sur la genèse.

Yûki au coeur des dix principes de Teikei

La traduction courante du terme yûki est « organique », « biologique ». Mais pour Teruo Ichiraku, qui fut son introducteur, yûki signifiait « ce qui associe au dynamisme du cycle de la vie et de l’univers ». L’objectif d’Ichiraku était de « promouvoir l’agriculture yûki qui ne rendrait ni personne ni la terre malades et qui se situerait dans la continuité de l’évolution de l’agriculture paysanne », et ce à l’époque où l’agriculture sans entrants chimiques n’était « presque pas pratiquée » au Japon. C’est cette philosophie qui est inscrite dans les « dix principes de Teikei », reposant sur la promotion d’un « univers de coexistence équilibrée où “vivent toutes sortes d’existences, y compris des hommes qui luttent et s’entraident” ».

Le premier principe, comme nous l’avons vu, est la définition de l’esprit fondamental du Teikei. Viennent ensuite les notions de production planifiée et d’adaptation de la consommation à la production. Le quatrième principe porte sur les modalités de fixation des prix et le cinquième sur les efforts de consentement mutuel. Le sixième principe organise les modalités de la distribution. La question de la responsabilité de chacun des membres est traitée dans le septième principe. L’importance des activités d’étude, au-delà des questions d’agriculture biologique, est consacrée par le huitième principe, qui préconise l’étude de l’essence du mouvement de Teikei. Le neuvième principe consiste à maintenir une taille convenable des groupes. Le dixième principe, enfin, encourage à la persévérance pour un progrès évolutif.

Dans son commentaire, Teruo Ichiraku précise que, dans « la plupart des cas, il est difficile de démarrer dès le début avec les conditions idéales […] que ce soit pour les producteurs ou pour les consommateurs. Il est pourtant important de bien choisir les membres partenaires et de persévérer pour améliorer ensemble, peu à peu les points sur lesquels il y a des insuffisances ».

Harmonie, justice

  Dans sa contribution, Gilles Maréchal, agent de développement rural (FR-Civam), propose une comparaison point par point de l’Amap et du Teikei. Arrêtons-nous sur les points de divergence. Le premier porte sur l’esprit même des initiatives. Comme le souligne l’auteur, le Teikei est « une mise en relation mutuelle entre égaux », alors que, dans une Amap, ce sont les consommateurs qui «soutiennent un producteur, ce qui implique de facto une hiérarchie entre les aideurs et l’aidé ». Les Amap reposent sur un système de prix équitable et solidaire, alors que, comme le souligne Gilles Maréchal, le Teikei, selon son « père fondateur », « n’est pas un réseau de commerce direct […], il est de nature du don contre don ». Autre point important de différence, celui de la planification. Dans les Amap, on est dans une « double articulation contractuelle », alors que le Teikei est un « contrat moral qui pourrait être qualifié de léonin à l’égard des consommateurs, sur qui semble reposer l’essentiel des obligations ». Gilles Maréchal propose également une lecture transversale autour de plusieurs thématiques : la relation et la transaction ; le commerce et la production ; l’aliment et le produit ; le contrôle social et le contrat ; l’échange et l’engagement. Selon l’auteur, l’individu recherche le bonheur au sein du Teikei et la citoyenneté dans l’Amap. L’objectif pour la collectivité serait l’harmonie dans le cas du Teikei et la justice pour l’Amap.

Les fruits et les graines

Dans le dernier texte, qui ne se veut pas conclusif, mais plutôt un commentaire des éléments marquants, Marc Humbert, économiste à l’université de Bretagne-Rennes 2, complète tout d’abord la contextualisation en enrichissant le terreau dans lequel sont nées et se sont développées ces deux formules. C’est ainsi qu’il souligne « qu’elles sont toutes deux issues de la vitalité de la société, elles en sont les fruits ». Mais il relève également des questions, en particulier sur la capacité transformatrice de toutes ces expériences, « chacune dans un concret micro-local, quasi individuel » avec le nécessaire changement d’échelle. Comment peuvent-elles « transformer la société tout entière, et tout d’abord [...] renverser la tendance jusqu’ici dominante de l’évolution de l’agriculture » ? Pour Marc Humbert, il faut associer d’autres types d’organisations « plus adaptées pour aider à développer une agriculture et une économie différentes, comme celles présentées dans la première partie de l’ouvrage (magasins collectifs, coopératives, associations) ». La question de la participation et celle de la confiance sont liées. L’auteur suggère ainsi le développement des « systèmes participatifs de garantie » (SPG), alternatives aux labels et certifications. Les SPG sont « des systèmes d’assurance qualité ancrés localement. Ils certifient les producteurs sur la base d’une participation active des acteurs concernés et sont construits sur une base de confiance, de réseaux et d’échanges de connaissances ». Pour Marc Humbert, on est ici dans « une logique de coopération pour faire progresser le bien-être de tous collectivement et non le contrôle pour faire fonctionner la compétition de type industriel ». Et de conclure que « toutes ces nouvelles formes de vente directe témoignent d’un renouveau de vitalité sociales et qu’elles sont à la fois les fruits et les graines pour son futur ».

Cet ouvrage est bien sûr destiné à toutes celles et tous ceux qui souhaitent agir pour une autre agriculture, mais il constitue aussi une excellente analyse des processus d’innovation (sociale), avec de nombreux exemples français, de tentative de transformation sociétale et de constitution d’un mouvement. Dans le contexte français, il pousse à réfléchir sur l’ordre des facteurs…

Rémi Laurent

 


(1) Les dix principes de Teikei présentés par Teruo Ichiraku en 1978 figurent en annexe de l’ouvrage.