Du souffle pour une société en panne : les associations en France

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Jean Bastide. Juris Associations, hors série, 2011, 176 pages.

Jean Bastide, président actuel de France Bénévolat après plus de quarante ans d’engagement associatif, signe avec Du souffle pour une société en panne un ouvrage essentiel pour les historiens qui écrivent ou écriront l’histoire encore balbutiante des associations françaises au XXe siècle. Cet ouvrage donne de la chair aux froides statistiques qui montrent la constante progression du mouvement associatif, contrastant avec l’affaiblissement progressif des autres mouvements sociaux, qu’ils soient politiques, syndicaux ou religieux. Il fait revivre les grandes figures qui l’ont animé et que Jean Bastide a côtoyées : François Bloch-Lainé, Michel Rocard, Henri Théry, Frédéric Pascal, entre autres. L’auteur, en effet, a été partie prenante de toutes les expériences de regroupement du milieu associatif qui ont marqué la fin du dernier siècle et le début de celui-ci : Fonda, Comité de la Charte, Union nationale interfédérale des oeuvres et organismes privés sanitaires et sociaux (Uniopss), Conseil national de la vie associative, Conférence permanente des coordinations associatives, et il a représenté les associations au Conseil économique et social quand elles ne disposaient que de la portion congrue. Cependant, ce livre n’est pas purement narratif ou descriptif, car Jean Bastide a lu, médité et mis en perspective à peu près tous les écrits sur les associations en France, tant théoriques qu’empiriques.

Très logiquement pour un ancien de Mai 68, l’auteur dit en introduction d’où il parle. Avec beaucoup de pudeur, il évoque ses racines protestantes et le parcours individuel qui l’a amené de la Fédération nationale des centres sociaux et socioculturels à France Bénévolat. Ce parcours personnel s’inscrit dans la trajectoire associative des quarante dernières années, dont il marque les étapes qu’il juge importantes, tout en soulignant que les diverses mesures prises par les pouvoirs publics ne constituent pas réellement une politique associative à cause de l’éclatement des ministères en relation avec les associations.

Histoire du monde associatif

La première partie de l’ouvrage retrace l’histoire tourmentée du droit d’association en France, en se focalisant sur le xixe siècle en dépit d’un flashback sur l’Ancien Régime et la Révolution et de quelques incursions en Grande-Bretagne. Cette histoire foisonnante de la conquête de la liberté d’association est heureusement simplifiée par des encadrés chronologiques. Le tournant de la loi de 1901 est bien vu dans sa complexité, avec un retour bienvenu aux débats parlementaires qui l’ont précédé et une utile distinction, à la suite du regretté Jean-François Merlet, entre les deux concepts d’association-droit et d’association-liberté.

La deuxième partie montre comment le droit d’association s’incarne dans les principaux secteurs de l’intervention associative, qui sont aussi ceux que Jean Bastide connaît de l’intérieur : le secteur de l’action sociale et médico-sociale, celui de l’enseignement, de la formation et du périscolaire et celui de l’éducation populaire et des mouvements de jeunesse, qui lui tient le plus à coeur, mais est sans doute le plus mal défini. Pour chacun de ces secteurs, un retour sur l’histoire qui leur est propre montre leur rôle d’avant-garde par rapport aux politiques publiques, recense les textes législatifs qui le structurent et montre l’évolution qu’ils ont connue au second XXe siècle. Le long chapitre consacré à l’éducation populaire est spécialement riche ; l’auteur, après en avoir vainement cherché une définition, insiste sur sa valeur émancipatrice et organisatrice de la vie hors travail, pour conclure à juste titre que l’éducation populaire est plus une démarche transversale à toutes les associations qu’un secteur d’activité. Les secteurs du tourisme social, du sport et de l’environnement sont traités très rapidement, alors qu’un encadré résume cavalièrement le reste du monde associatif des champs de la culture, de la défense des droits et des causes, de l’humanitaire et du caritatif et de la solidarité internationale.

La troisième partie est consacrée à l’évolution du monde associatif depuis 1970. Le développement et la diversification du secteur sont la conséquence de diverses forces internes ou externes parmi lesquelles l’auteur privilégie la professionnalisation des salariés et des bénévoles, la décentralisation qui ouvre de nouveaux champs à l’action associative tout en lui reconnaissant une légitimité inférieure à celle des élus, l’évolution du financement public, de la subvention à la commande publique, qui bride l’initiative associative et favorise les comportements hypocrites de part et d’autre et, enfin, le difficile passage des regroupements associatifs par affinité idéologique ou par secteur au rassemblement général qui porte les intérêts commun du milieu. Ce chapitre touffu est d’un grand intérêt ; il fait état de toutes les controverses et les contradictions qui ont agité le milieu associatif depuis quarante ans, depuis les rivalités entre catholiques et laïcs jusqu’aux plus récentes comme la disparition de la clause générale de compétence dans la réforme des collectivités territoriales, des controverses les plus théoriques comme la longue discussion des thèses de Mathieu Hély jusqu’aux plus concrètes comme l’ambiguïté des conséquences du financement par projet. Cette partie est aussi très personnelle, car l’auteur prend clairement parti, mais elle semble parfois difficile à comprendre par les non-initiés.

Les transformations du bénévolat

Tout aussi riche et engagée, mais sans doute plus facile à lire pour le néophyte est la quatrième partie, consacrée aux problèmes d’aujourd’hui et aux pistes pour demain. A partir de son expérience de France Bénévolat, Jean Bastide interroge finement les transformations actuelles de l’engagement avec une attention spéciale pour la mutation de l’engagement des jeunes, moins militant, plus soucieux des résultats de l’action, de l’épanouissement personnel, de l’acquisition de compétences et de la prise de responsabilités. Il attribue le zapping des jeunes bénévoles à l’instabilité de leur situation professionnelle et personnelle plus qu’à leur individualisme. Face à cette priorité de l’engagement des jeunes, essentiel aussi pour le renouvellement des dirigeants, il juge importante l’instauration du service civique et essentielle la validation des acquis de l’expérience, une politique publique prometteuse, mais mal appliquée et non évaluée. Un autre point original est l’analyse de la crise actuelle du fédéralisme associatif, qui s’est bâti après la guerre sur le modèle de l’Etat jacobin plus que sur celui de Proudhon et qui, de ce fait, a souffert de la décentralisation ; l’auteur préconise donc un fédéralisme d’accompagnement des salariés et des bénévoles, à gouvernance renouvelée. Le thème de la gouvernance comme celui des partenariats avec les entreprises et des relations avec les syndicats sont également utilement évoqués, avant de terminer sur une ouverture européenne un peu courte.

Pour conclure, regrettons que Jean Bastide ait peu prêté d’attention à l’économie sociale, dont les associations forment actuellement les gros bataillons, même s’il s’agit de chevau-légers, et adressons une critique à l’éditeur, qui a adopté un caractère typographique minuscule aggravé par un encrage faible rendant la lecture de l’ouvrage peu agréable passé 40 ans… Plus fondamentalement et pour résumer, Du souffle pour une société en panne est un livre très riche et multidimensionnel, fondé sur une expérience longue et variée et une grande culture, qui devrait apporter beaucoup au militant associatif soucieux de voir ce monde inventif fragilisé, alors qu’il pourrait si utilement contribuer à une politique plus participative, à une société moins atomisée et à une économie moins obsédée par le profit et plus par le bien-être et l’environnement de ceux qui y participent. Il devrait constituer aussi une ouverture précieuse et un fil d’Ariane pour celui qui désire s’initier à ce monde complexe et en comprendre la dynamique.

Edith Archambault

Note parue dans le numéro 326 de la Recma