De la seconde guerre mondiale à la pandémie du coronavirus, quel rôle pour la Mutualité en temps de crise ?

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La crise provoquée en France et dans le monde par le coronavirus amène à s’interroger sur le rôle de la Mutualité dans des circonstances exceptionnelles. Les différences sont évidemment considérables, pour de nombreuses raisons, entre la Seconde Guerre mondiale et la crise sanitaire actuelle, mais on peut tout de même relever quelques points communs.
Dans les deux cas, c’est l’ensemble de la société qui est touché : les répercussions des événements sont immenses sur la vie de millions de personnes et posent la question de la validité des systèmes de santé de leur pays. Par son ampleur, la crise entraînée par la Seconde Guerre mondiale dépasse le strict cadre du périmètre de la mutualité, il est donc impossible à celle-ci d’y répondre seule. Toutefois, avec près de 10 millions d’adhérents appartenant à 23 000 sociétés, la mutualité est le premier mouvement social français durant les années sombres : elle l’est toujours aujourd’hui avec 38 millions d’adhérents.

La seconde guerre mondiale, une situation anticipée
De la déclaration de guerre en septembre 1939 jusqu’en mai 1940, les mutualistes sont dans une meilleure situation que vingt-cinq ans plus tôt : à la différence de ce qui s’était passé avec le début rapide et inattendu des hostilités en 1914, ils disposent, durant la « drôle de guerre », de plusieurs mois pour s’organiser. Ils ne sont donc pas pris au dépourvu par un conflit de plus en plus menaçant puis inexorable, même si, comme la majorité du pays, ils ont certainement espéré qu’il pourrait être évité. Ici, la différence est totale avec la crise actuelle, qui a pris de court tous les acteurs politiques et sociaux, en France, comme dans le reste du monde.
La guerre déclenchée, la mutualité a donc les moyens d’organiser la solidarité et de maintenir certaines formes de sociabilité, les deux étant plus que jamais nécessaires. Elle dispose en ce domaine d’une longue expérience depuis la fin du XIX e siècle.
Le conflit mondial produit des situations d’urgence et des besoins nouveaux qui dépassent le périmètre de l’action mutualiste traditionnelle. Vient d’abord l’aide aux mobilisés, puis celle aux prisonniers et à leurs familles. La FNMF organise une souscription nationale – le « franc mutualiste » – en faveur des mobilisés et, dans ce but, commande deux millions d’insignes, dont le produit de la vente sera versé aux œuvres d’entraide de l’armée. Mais les événements ne laissent pas aux mutualistes le temps de mener à bien cette souscription, aussi décideront-ils en septembre 1940 de transformer le « franc mutualiste aux mobilisés » en un « franc mutualiste aux prisonniers ».
L’aide passe également par la poursuite de l’activité du réseau des œuvres sociales que la mutualité a construit depuis le début du siècle : pharmacies, mutualités maternelles, cliniques chirurgicales, dispensaires, sanatoriums, préventoriums, cabinets dentaires, colonies de vacances, orphelinats, « gouttes de lait ». À l’heure où les besoins médicaux, quotidiens et à plus long terme augmentent dans des proportions considérables, ces réalisations doivent continuer à fonctionner ; en dépit des difficultés de la période – réduction du corps médical due à la mobilisation, à la déportation ou à la fuite, bombardements, pénurie générale –, elles y parviennent dans leur grande majorité. On assiste même parfois à la création d’œuvres mutualistes.
Cependant, la situation varie d’un département à l’autre en fonction des réquisitions, de l’attitude de l’occupant, des transports et des conditions d’approvisionnement. Les mutualistes interviennent également sur le plan l’aide alimentaire En 1942, ils sont autorisés par le gouvernement à gérer des jardins ouvriers pour faire face au rationnement ; ainsi, l’Union de Tours en installe d’emblée une vingtaine sur un terrain concédé par la ville. Le maintien des colonies de vacances permet de prendre en charge, tant bien que mal, les enfants sous-alimentés.

Un maillage territorial pour organiser la solidarité
Ces actions de solidarité reposent sur le réseau de proximité constitué par les milliers de petites sociétés mutualistes qui regroupent en moyenne moins d’une centaine de membres et qui sont émiettées sur tout le territoire. Leur action, dont il ne reste le plus souvent aucune trace, passe alors inaperçue ; elle est pourtant fondamentale. La solidarité est pratiquée avec davantage de moyens par les grandes mutuelles professionnelles, en développement rapide chez les postiers (150 000 agents, soit les 4/5e de la profession), les cheminots (500 000 adhérents, soit 90 % de la profession) et les fonctionnaires.
Les mutualistes arrivent donc à pérenniser leurs activités à travers les pratiques de solidarité qu’ils exercent depuis longtemps. Dans ce domaine, la Seconde Guerre mondiale ne constitue pas une rupture. Et ce d’autant moins que, contrairement à ce qui s’est passé durant la Première Guerre, la mutualité conserve l’essentiel de ses adhérents tout du long. Bien implantée dans les villes, notamment dans les départements industrialisés, la présence mutualiste est plus rare dans les communes rurales.
Durant les quatre années de guerre, la mutualité est confrontée à la question des rapports avec l’État. Depuis une décennie elle coopère avec lui dans le cadre des Assurances sociales, mais elle n’en redoute pas moins qu’il n’empiète sur ses prérogatives. Comme tout événement historique d’ampleur, la Seconde Guerre mondiale a des conséquences contradictoires. Le régime de Vichy poursuit bien davantage qu’il ne remet en cause les politiques sociales gouvernementales menées  depuis le début du siècle. Comme cela a déjà été le cas vingt-cinq ans plus tôt, cette situation de crise permet de nouveaux progrès de la médecine. Sur le plan politique, le bilan est contrasté pour la mutualité. La Fédération nationale de la Mutualité française est muette sur la persécution des Juifs et elle soutient Vichy jusqu’au milieu de l’année 1943, mais elle compte également des résistants dans ses rangs.

Quelques remarque s pour conclure.
Premièrement, la grippe espagnole survenue à l’automne 1918 a fait bien davantage de morts au niveau mondial que la Première Guerre mondiale – peut-être 50 millions contre près de 19 millions – mais elle a été plus ou moins oubliée ensuite. Deuxièmement, à la différence de ce qu’il en a été durant la Seconde Guerre, ce sont aujourd’hui les personnels de santé qui, à tous les niveaux, sont en première ligne. Enfin, souhaitons que la crise actuelle fasse prendre conscience à nos dirigeants que la santé n’est pas un marché, mais un droit et un bien commun à tous les individus : en France, comme dans le monde.

Michel Dreyfus
Auteur d’un livre à paraître intitulé La Mutualité pendant la Seconde Guerre mondiale (Éd. de l’Arbre bleu, Nancy)